Craintes dune nouvelle diplomee en medecine de famille

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Cette année, des centaines de nouveaux médecins de famille ont commencé leur pratique indépendante partout au pays. Ils intègrent la médecine de famille dans un contexte difficile. Au moment où cet article sera publié, j’aurai terminé ma première année de pratique complète. Je sais à quel point il peut être excitant et effrayant de quitter l’éducation formelle, et je souhaitais partager avec vous trois craintes qui ont été les miennes en tant que nouveau médecin de famille.

Crainte numéro 1 : je ne vais pas savoir quoi faire

Avant de commencer un quart de travail à l’hôpital ou à l’urgence, je me sentais souvent malade en raison de l’anxiété. Ma mère comparait ma réaction à celle d’un acteur qui a le trac avant de monter sur scène. Voilà ce qui me tracassait : que se passera-t-il si je ne sais pas quoi faire dans un cas donné? Que se passera-t-il si je passe à côté de quelque chose ou si je prescris le mauvais traitement?

Pendant ma deuxième année de résidence, j’ai reçu des conseils très utiles, comme celui-ci : exerce la médecine de manière à pouvoir dormir la nuit et la pratique deviendra plus facile une fois que tu auras développé tes propres approches des cas. La formation en médecine nous enseigne des approches de base dans différents cas, mais la décision finale est assumée par les superviseurs qui disposent d’un certain niveau de confort. Une fois mon diplôme en poche, j’ai mis du temps à bâtir la confiance dont j’avais besoin pour prendre mes propres décisions. Pour y arriver, j’étudiais le soir, j’assistais à des conférences et je consultais souvent mes notes ainsi que les ressources disponibles au travail. Mes superviseurs m’ont aussi beaucoup soutenue en me disant, avant que je sois diplômée, que je pouvais les appeler n’importe quand … et je les ai pris au mot.

J’ai également vite découvert que j’étais naturellement plus prudente que beaucoup de mes superviseurs chevronnés. Je posais davantage de questions à mes patients, je prescrivais parfois plus d’examens, j’échangeais des idées avec mes collègues plus souvent et mon seuil pour obtenir l’avis d’un spécialiste n’était pas très élevé. L’un des outils qui m’a été le plus utile pour obtenir des recommandations de spécialistes est le programme eConsultation de l’Ontario (https://otn.ca/fr/patients/econsult), une plateforme virtuelle qui fait partie du Réseau Télémédecine Ontario. Elle permet aux médecins de famille de consulter d’autres spécialistes de la province. Parfois, ces derniers confirment qu’il n’y a aucune autre mesure à prendre; d’autres fois, ils suggèrent d’autres options en matière de bilan ou de traitements; et d’autres fois encore, les contacter permet de confirmer qu’un patient a besoin de voir un spécialiste en personne. On reçoit une réponse en quelques heures ou en quelques jours. J’apprends toujours quelque chose lorsque j’ai recours à ce programme et je conserve mes notes pour pouvoir les consulter si je rencontre à nouveau un cas similaire.

J’ai encore beaucoup à apprendre, mais j’ai mis en place des systèmes pour savoir vers qui me tourner lorsque je n’ai pas toutes les réponses. À mesure que le temps passe, je suis de plus en plus à l’aise avec le fait de ne pas tout savoir au moment où je rencontre le patient et la sensation d’anxiété qui était toujours présente en moi avant mes quarts de travail commence à diminuer.

Crainte numéro 2 : je vais faire une erreur

Nous sommes prévenus lors de la formation : il ne s’agit pas de savoir si on va faire l’objet d’une plainte aux organismes de réglementation, mais plutôt du moment où cela va arriver. Cogitation : c’est le mot que j’emploierais pour résumer mes impressions lors de ma première année de pratique. Est-ce que j’ai fait ou dit ce qu’il fallait? Est-ce que je suis passée à côté d’un diagnostic ou d’une recommandation? J’ai passé de nombreuses nuits sans sommeil à ressasser des cas; pendant mes heures de travail, il m’est arrivé de laisser des notes supplémentaires dans des dossiers ou d’appeler des patients pour prendre de leurs nouvelles au bout de quelques jours.

En y repensant, je me rends compte que j’ai commis bien des erreurs pendant ma première année de pratique. Avec le recul, je me dis qu’il y a de nombreux cas que j’aborderais différemment aujourd’hui. Parfois, on ne sait simplement pas tout ou bien la décision qui est prise dépend de contraintes de temps ou d’énergie. Un collègue urgentiste d’une grande sagesse m’a conseillé de me concentrer sur les éléments importants à ne pas manquer et cela m’a aidé à focaliser mon attention. Par mesure de sécurité, j’essaie souvent de lister des diagnostics différentiels au bas de mes notes.

Le deuxième outil auquel j’ai eu recours récemment est un groupe Balint. Les groupes Balint sont des réunions semi-structurées entre médecins de famille pour parler des aspects émotionnels liés à des cas difficiles1. Il ne s’agit pas nécessairement d’aborder les détails cliniques des cas ou de revenir sur les erreurs commises, mais plutôt d’apprendre à gérer les émotions déclenchées par des cas qui vous empêchent de dormir. Entendre que d’autres médecins éprouvent la même chose que moi me permet de valider mes émotions; mais ce que je préfère, c’est que les discussions de groupes m’encouragent à voir les cas sous un autre angle. Ce groupe m’a offert l’espace et le cadre dont j’avais besoin pour gérer ces cas et je passe moins de temps la nuit à les repasser en boucle dans ma tête.

Crainte numéro 3 : je vais m’épuiser

Tout au long de la formation, nous sommes sensibilisés à l’épuisement professionnel et nous voyons des collègues en difficulté. En tant que nouveau médecin, vos compétences sont très recherchées. On peut facilement s’engager à l’excès. J’ai été surprise de réaliser à quel point les tâches cliniques liées à la pratique indépendante sont mentalement et émotionnellement éprouvantes par rapport à la résidence. Le fait de prendre soi-même les décisions finales génère beaucoup de stress et il y a énormément de paperasse à remplir après les consultations pour s’assurer que les patients reçoivent des soins optimaux.

Je me connais bien et je savais avant d’être diplômée que j’étais à risque de vouloir trop en faire. Pour différentes raisons, j’ai donc décidé de commencer à exercer à titre de suppléante et, au bout d’un an, je suis très satisfaite. Cela m’a aidée à commencer doucement, m’a offert la flexibilité de travailler dans différents milieux et m’a permis d’observer comment différents médecins de famille organisent leur pratique. J’ai également essayé de faire le point avec moi-même de temps en temps pour réévaluer mon niveau de stress pendant la période de travail qui venait de s’écouler; j’ai ensuite ajusté mes consultations en conséquence pour assurer un fonctionnement durable à l’avenir.

Autre élément important pour moi : je voulais endosser des rôles non cliniques, par exemple en intégrant le Comité des prix du Collège des médecins de famille de l’Ontario ou encore en travaillant avec une équipe de recherche sur une étude consacrée aux médecins de famille en début de carrière. Ces fonctions m’ont permis d’échapper au stress de la prise de décision et m’ont donné une impression de contrôle, parce que je savais que je contribuais à un avenir meilleur pour les patients et les médecins de famille. Je suis souvent inspirée par d’autres médecins de famille avec lesquels je travaille en équipe et qui me poussent à m’améliorer, que ce soit dans des milieux cliniques ou en dehors.

Consacrer du temps à des activités non médicales dans mon quotidien s’est aussi avéré essentiel : faire du sport, échanger avec mes amis et ma famille ou reprendre d’anciens passe-temps. Sortir de l’univers médical de temps à autre m’a aidé à y revenir avec plus de motivation encore.

Conclusion

La première année de pratique peut être difficile. Elle est remplie de nouveaux défis et de nouvelles récompenses, comme à chaque étape d’une carrière en médecine. Chaque personne diplômée a ses propres craintes. Je dirais que le meilleur moyen de les surmonter, c’est d’y faire face sans détour. Ces peurs ne me quitteront peut-être jamais, mais je vais les apprivoiser avec le temps. La transition vers la pratique indépendante est aussi plus facile lorsque l’on bénéficie du soutien de ses collègues. Aucune somme d’argent ne peut remplacer l’appui et les conseils de collègues de confiance. Voici les principales leçons que j’ai tirées de ma première année de pratique : je ne suis pas seule et je prodigue de meilleurs soins lorsque je m’appuie sur mon équipe.

Notes

Les Cinq premières années de pratique est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, sous la coordination du Comité sur les cinq premières années de pratique de la médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada. Cette série a pour but d’explorer des sujets d’une pertinence particulière pour les médecins en début de pratique et susceptibles d’intéresser tous les lecteurs du Médecin de famille canadien. Nous invitons tous ceux et celles qui en sont à leurs 5 premières années de pratique à présenter une contribution d’au plus 1500 mots (https://www.cfp.ca/content/Guidelines) au Comité sur les premières cinq années de pratique de la médecine familiale, à firstfivecfpc.ca.

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