Les soins primaires sous langle de la sante planetaire: Tenir compte de la durabilite environnementale est benefique pour les patients et les cliniciens

Le changement climatique et la dégradation environnementale deviennent rapidement 2 des plus importants déterminants pour l’avenir de la santé humaine. Bien qu’on ait convenu d’établir à 1,5°C au-dessus des normes préindustrielles la limite de la hausse du réchauffement mondial comme cible de l’Accord de Paris en 2015, au Canada, nous avons déjà atteint un réchauffement national moyen de 1,2°C supérieur à la valeur de référence de 1961 à 19901,2. Les modélisations climatiques indiquent que la planète est sur la voie d’atteindre un réchauffement mondial médian de 2,8°C durant le cycle de vie des enfants nés aujourd’hui3. On s’attend à ce que ce degré de réchauffement engendre des préjudices de plus en plus dramatiques, imprévisibles et probablement irréversibles à la planète et à l’humanité.

Les êtres humains ne peuvent pas demeurer en santé dans un environnement de plus en plus malsain. Le concept de santé planétaire a été développé pour nous rappeler que la survie humaine repose sur la protection des écosystèmes naturels de la planète, qui nous procurent une eau, un sol et un air propres, de même qu’un climat stable4. À mesure que le climat changera, les atteintes à la santé causées par des feux de forêt, des vagues de chaleur et des sécheresses de plus en plus fréquents et sévères, de même que par la propagation de maladies vectorielles, contribueront à une demande de soins de santé plus élevée et menaceront encore plus nos systèmes de santé déjà précaires, et ce, au moment où les travailleurs et les établissements de la santé eux-mêmes feront face aux mêmes menaces4.

Le secteur de la santé, en dépit de son mandat de protéger la santé, fait partie du problème, en contribuant 4,6 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) au Canada5. En outre, le système de santé canadien est responsable de certaines des émissions de GES par habitant les plus élevées au monde6. Pourtant, en tant que cliniciens, nous nous arrêtons rarement pour réfléchir à la façon dont nos actions dans les soins de santé se traduisent par des conséquences pour la planète; les soins à ressources intensives sont devenus parties intégrantes de notre culture médicale et nombreux sont ceux qui présument qu’ils sont nécessaires à la prestation de soins sécuritaires et de grande qualité. Les systèmes de santé d’autres pays produisent moins de GES par habitant, et l’espérance de vie en santé à la naissance y est égale ou supérieure à celle du Canada; il est donc évident que des soins de grande qualité à faible émission de carbone sont possibles7.

De fait, si l’on considère l’accumulation des conséquences négatives pour la santé à court et à long terme dans le système actuel, il devient évident que des soins de santé environnementalement durables ne sont pas seulement possibles, mais aussi nécessaires pour dispenser des soins qui ne causent pas de torts. Grâce à un financement d’Environnement et Changement climatique Canada, CASCADES (Créer un système de santé canadien durable face à une crise climatique) est une initiative pluriannuelle d’édification des capacités dont le but est de minimiser les contributions des soins de santé à la crise climatique; elle considère la durabilité environnementale comme une condition préalable, un objectif et un résultat pour des soins de grande qualité8. Pour adhérer à ce principe, les décideurs et les professionnels des soins primaires devront faire certains changements fondamentaux dans leur façon d’envisager les soins de santé. Nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer les impacts plus larges de nos actions en tant qu’individus et que leaders, étant donné les ressources épuisables du système de santé et de la planète. Nous devons réfléchir sérieusement à la façon de mieux utiliser ces ressources dans l’intérêt de nos propres patients, sans compromettre la capacité de notre système de fournir en temps opportun des soins de grande qualité à d’autres, tant pour les générations actuelles que futures.

Les principes des soins de santé environnementalement durables

La plupart d’entre nous qui travaillons en soins de santé sont choqués par le gaspillage matériel et les quantités toujours grandissantes de produits jetables que nous voyons dans notre système. Lorsqu’on leur pose la question, la plupart des professionnels de la santé croient qu’il faudrait faire quelque chose pour régler le problème9, mais il est difficile de savoir où commencer et comment avoir le plus grand impact.

Traditionnellement, les dirigeants et les cliniciens ont réfléchi à des actions environnementales dans les milieux de soins, tout comme nous l’avons fait dans nos vies personnelles, en nous concentrant sur le recyclage, l’économie d’énergie par des rénovations et l’achat de produits plus écoénergétiques. Si de tels gestes peuvent réduire la quantité de déchets qui finissent dans les dépotoirs ou diminuer la consommation d’énergie à court terme, ils peuvent aussi créer des incitatifs qui encouragent, en réalité, une plus grande consommation. Avant tout, les déchets physiques que nous voyons ne représentent que la pointe de l’iceberg, puisque la plupart des émissions de GES produites par les soins de santé proviennent d’installations de l’extérieur, en amont de la chaîne d’approvisionnement5,10. Dans une étude du National Health Service, en Angleterre, 62 % de ses émissions de GES en 2019 provenaient de la chaîne d’approvisionnement à elle seule10. Lorsque nous envoyons une personne subir des tests de laboratoire ou si nous prescrivons un médicament, il faut de grandes quantités d’énergie et de ressources pour produire les fournitures et le matériel nécessaires pour fabriquer, traiter, transporter et obtenir ces produits.

Heureusement, en adoptant l’angle de la santé planétaire on peut découvrir de nombreuses possibilités de réduire cet impact environnemental caché par l’entremise d’une prise de décisions cliniques plus durables. Chaque clinicien peut être un défenseur climatique simplement en utilisant au travail des outils existants d’une nouvelle manière, au quotidien, qui rapportent des bienfaits concomitants : une plus grande équité, de meilleurs résultats pour les patients, une réduction du fardeau sur le plan du temps et des coûts pour les patients et les professionnels.

Le Centre for Sustainable Healthcare (auparavant la campagne pour des soins de santé plus écologiques), au Royaume-Uni, a élaboré un référentiel qui nous aide à identifier des possibilités de dispenser des soins de plus grande qualité, environnementalement responsables et économiquement durables11. Ce cadre nous ramène aux racines fondamentales de la pratique en tant que médecins de soins primaires et guérisseurs, en utilisant nos compétences de base en écoute des patients, en nous fiant à nos constatations à l’examen physique, en faisant preuve d’un jugement professionnel avisé lorsque nous prescrivons des examens et des traitements pharmacologiques, de même qu’en utilisant le pouvoir guérisseur du temps et des relations longitudinales. Un nouveau guide canadien, Santé planétaire pour les soins primaires12, présente une élaboration des 4 principes des soins de santé environnementalement durables : réduire les soins inutiles, responsabiliser les patients, rediriger notre attention sur la promotion de la santé et la prévention, et choisir les solutions de rechange à impact plus faible. La Figure 1 est un feuillet qui résume ce guide.

Figure 1.Figure 1.Figure 1.

Feuillet résumant les 4 principes des soins de santé environnementalement durables

Éviter les soins inutiles. Les progrès de la médecine qui permettent de guérir des maladies et de prolonger l’espérance de vie chez les humains ont laissé l’impression que les soins de santé sont un « bien » absolu. Toutefois, il arrive un moment où les préjudices l’emportent sur les bienfaits de soins de plus en plus nombreux, au point où les gains diminuent et l’exposition aux torts augmente13. Il existe un degré optimal de soins qui limite à la fois la sous-utilisation des services efficaces et la surutilisation des interventions inappropriées, se traduisant par une qualité supérieure des soins de santé pour chaque patient et pour les populations. Les soins de faible valeur ou inutiles désignent des soins qui n’apportent aucun bienfait ou que des bienfaits minimaux, compte tenu des préjudices, des coûts, des solutions de rechange et des préférences du patient14. Selon les estimations, jusqu’à 30 % des examens et des traitements prescrits en soins de santé sont potentiellement inutiles, et une tranche additionnelle de 10 % cause en réalité des préjudices directs aux patients15,16. Il y a des incitatifs subtils, souvent inconscients, à la surutilisation : réglementation désuète, habitudes, formation, crainte, désinformation, pressions exercées par le temps et présomptions à propos des préférences du patient. Ces soins inutiles peuvent rallonger les temps d’attente, gaspiller des dollars en soins de santé et augmenter les charges de travail. Les soins inutiles comportent aussi d’énormes coûts environnementaux, étant donné l’énergie et les ressources qu’il faut pour produire le matériel nécessaire pour chaque médicament, chaque examen et chaque visite chez le médecin. La réduction des soins inutiles est l’une des plus importantes façons de réduire notre impact environnemental tout en continuant à fournir des soins de grande qualité aux patients.

Responsabiliser les patients. Des soins centrés sur le patient et la famille représentent la pierre angulaire de la sécurité et de la qualité dans les soins de santé. Il a été démontré que faire participer les patients à une prise de décisions partagée et les encourager à s’impliquer activement dans la prise en charge de leurs propres problèmes de santé améliorent les issues chez les patients et sont des éléments essentiels à la durabilité des soins de santé dans le monde17,18. De telles approches peuvent réduire les impacts environnementaux et les coûts des soins en diminuant les soins non voulus et en aidant les patients à être plus indépendants et à moins se fier à des services intensifs de soins de santé19.

Même si le mouvement de la médecine lente ne concorde pas bien avec de nombreux styles de pratique actuels à grand volume et à rythme rapide, l’adoption de ses principes permettrait aux praticiens de prodiguer des soins davantage centrés sur le patient20. Dans un sondage effectué auprès de la population canadienne en 2021, la plupart des répondants ont indiqué qu’ils se souciaient du changement climatique, et qu’ils étaient intéressés par des traitements et des options de prestation des soins produisant des émissions moins intensives de carbone, là où ils sont disponibles21.

Changer pour la prévention. Pour réduire notre impact environnemental en tant que secteur de la santé, une approche importante consiste à s’éloigner des traitements médicaux secondaires et tertiaires exigeant beaucoup de ressources pour se tourner vers des possibilités de promotion de la santé et de prévention des maladies, qui entraînent des bienfaits en matière de santé, et sur les plans social, environnemental et économique22,23. Notre système médical est principalement conçu pour traiter les maladies, et les pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques consacrent en moyenne un peu plus que 5 % de leurs dépenses en santé à la prévention. Pourtant, un examen des facteurs qui influent véritablement sur la santé des personnes révèle que les déterminants les plus importants sont ceux qui se situent en dehors du système médical formel, comme le revenu, l’environnement, le logement, l’alimentation et le développement de la petite enfance24,25. L’investissement de ressources dans la prévention est économiquement responsable et favorise une plus grande équité en santé, nous permettant d’aider le plus grand nombre de personnes. Il est tout aussi important pour la durabilité des soins de santé de se prévaloir au maximum des stratégies efficaces de prévention, comme la vaccination, un dépistage approprié et la prise en charge des problèmes chroniques pour éviter les complications à long terme, que d’éviter la surutilisation23.

Choisir des solutions de rechange environnementales. Il est souvent possible pour les cliniciens de choisir des produits et des pratiques qui ont des impacts environnementaux moins élevés. Le recours à des options non pharmacologiques, lorsque c’est possible, peut réduire les répercussions sur l’environnement. Lorsque des médicaments sont nécessaires, des produits à plus faible impact sont souvent disponibles, comme les inhalateurs à poudre sèche plutôt que les aérosols doseurs; des formulations à longue durée d’action plutôt qu’à courte durée d’action; des stérilets plutôt que des contraceptifs oraux quotidiens; et des formulations par voie orale plutôt que parentérale, s’il y a lieu26,27. Les options virtuelles pour les rendez-vous des patients, les réunions et les conférences peuvent avoir d’importants bienfaits sur le plan environnemental28,29. En privilégiant les produits réutilisables ou moins dommageables pour l’environnement, il est généralement possible de réaliser des économies dans l’ensemble du cycle de vie et d’accroître la résilience en cas de ruptures dans la chaîne d’approvisionnement30.

Même si ces 4 principes peuvent s’appliquer aux praticiens de toutes les disciplines31, les cliniciens des soins primaires sont particulièrement bien placés pour y adhérer, compte tenu de notre expertise en promotion de la santé et en soins collaboratifs, longitudinaux et centrés sur le patient. Un accès adéquat à des soins primaires de grande qualité peut aider les patients à éviter les interventions secondaires et tertiaires plus intensives qui sont associées à des impacts environnementaux plus importants. Au Canada, 25 % des visites aux départements d’urgence concernent des problèmes qui relèvent des soins ambulatoires, comme le diabète, l’hypertension et les maladies pulmonaires obstructives chroniques, ce qui témoigne d’un accès insuffisant aux soins primaires23. En pratique privée, il y a moins d’obstacles institutionnels que dans les milieux hospitaliers, et des solutions simples, efficaces et à faible émission de carbone peuvent être facilement mises en œuvre. En tant qu’alliés et intendants de confiance, les médecins de famille ont des possibilités uniques de limiter la surutilisation et ses effets de dominos.

Conclusion

L’adoption de l’angle de la santé planétaire offre une nouvelle façon de réfléchir à la durabilité environnementale en soins primaires. Si de nombreux cliniciens travaillent de concert pour intégrer les 4 principes des soins de santé durables dans leur travail au quotidien, nous pouvons aider à réduire l’empreinte environnementale du secteur de la santé, et obtenir des bienfaits additionnels pour les patients, les cliniciens et le système de la santé.

Footnotes

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

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