Lavenir de la medecine familiale au Canada: Quatre strategies fondees sur des donnees probantes pour transformer les soins de sante

Des vents de changement soufflent sur le paysage des soins primaires au Canada. Le Projet sur les finalités d’apprentissage du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) se serait conclu par une troisième année de résidence en médecine familiale, mais il a été mis sur pause pour le moment1,2. En 2022, le gouvernement de la Colombie-Britannique a étonnamment annoncé qu’il offrirait une structure de rémunération complètement renouvelée pour les médecins de famille, qui s’éloignerait de la rémunération à l’acte3. De nombreux articles, allant de communiqués de presse à des ouvrages scientifiques, ont mis en évidence la nécessité impérieuse d’améliorer l’accès aux soins primaires au Canada4,5. Le moment du changement est maintenant venu.

Pour régler la crise dans les soins primaires qui touche toutes les composantes du système de santé, la médecine familiale doit agir comme chef de file dans des efforts considérables pour mettre en œuvre une prestation durable et de grande qualité des soins primaires. Des réformes qui engendrent et soutiennent un système de santé robuste et résilient dans son ensemble doivent être adoptées à l’échelle pancanadienne. Lorsque d’importants changements ne se produisent que dans certaines régions, nous risquons d’exacerber les iniquités dans les effectifs de médecins, ce qui peut se traduire par une mauvaise répartition de la main-d’œuvre. Nous présentons 4 initiatives fondées sur des données probantes que notre discipline devrait promouvoir et soutenir activement.

Éliminer la rémunération à l’acte

Notre discipline devrait adopter des modes de rémunération des médecins de famille qui font disparaître progressivement la rémunération à l’acte pour la remplacer par des mécanismes appropriés à la prestation en équipe des soins primaires en réponse aux besoins de la communauté6. Certains modèles de financement font obstacle au changement7,8, et si nous ne reconnaissons pas que le modèle actuel de rémunération à l’acte ne se prête pas à la prestation de soins populationnels de grande qualité, nous risquons de demeurer enlisés dans un système de soins primaires dysfonctionnel, sans coordination et largement hétérogène. Pour créer un modèle robuste de soins en équipe centré sur la communauté, le changement nécessaire n’est pas évolutionnaire, mais bien révolutionnaire. Plusieurs autres experts ont également plaidé précisément en faveur de ce type de rectification radicale, faisant passer le mode de rémunération à l’acte à d’autres modèles de financement des soins primaires9-11.

Au lieu de mettre l’accent sur la quantité, la réorganisation des soins primaires doit insister sur la qualité des soins. Nous devons financer et bâtir des équipes interdisciplinaires de soins primaires pouvant à la fois desservir les populations de pratiques existantes et les 6 millions de Canadiens qui, selon les estimations, n’ont pas de médecin de famille12,13. Ces équipes pourraient aussi appuyer l’inscription de patients, un important moyen d’améliorer la continuité des soins, qui est reconnue pour produire de meilleurs résultats14.

Promouvoir le partage d’information en temps réel

Notre discipline devrait promouvoir des politiques, des procédures et des outils qui permettent le partage d’information en temps quasi réel et font en sorte que les renseignements sur les patients sont disponibles dans l’ensemble du système de santé15. Nous devons reconnaître les lacunes que les enquêtes internationales du Fonds du Commonwealth et les rapports de l’Organisation de coopération et de développement économiques ont incessamment constaté dans le système canadien de la santé, comme les longs temps d’attente, le manque de données et la dépendance excessive à l’endroit des soins d’urgence5,16,17. Ces problèmes sont exacerbés par nos systèmes de données en silos et par les politiques qui limitent le partage de données en raison de préoccupations entourant la confidentialité18,19. Il faut faire un juste équilibre entre la protection des renseignements personnels des patients et les préjudices du non-partage des informations susceptibles de soutenir les soins aux patients et les initiatives d’amélioration20. Des rapports de la Stratégie pancanadienne de données sur la santé ainsi que du groupe consultatif scientifique ontarien de lutte contre la COVID-19 définissent des étapes significatives et pratiques qui, si elles étaient suivies, pourraient édifier cette infrastructure de données21,22. Des lois fédérales imposant l’interopérabilité des dossiers médicaux électroniques, y compris des paramètres d’accès aux données assurant un niveau acceptable de protection de la confidentialité, pourraient être liées à des transferts fédéraux précis en matière de santé.

Intégrer la planification et la prestation des services de soins primaires

La planification et la prestation des services de soins primaires devraient être liées et intégrées avec d’autres services sociaux et de santé. Le rapport Fuller Stocktake du Royaume-Uni, publié en 2022, donne un aperçu des secteurs où diriger les efforts pour édifier un système de santé accessible et intégré dont le fondement se situe dans les soins primaires23. Il définit les 3 rôles clés d’un système de soins primaires efficace : donner l’accès aux services de soins aigus aux patients malades, dispenser en équipe des soins personnalisés aux patients souffrant de problèmes chroniques, et réduire la mortalité et la morbidité au moyen d’une approche de soins préventifs23. Ces rôles fondamentaux doivent ensuite être intégrés dans l’ensemble du système pour maximiser son fonctionnement et favoriser des issues et des expériences optimales pour les patients. Le rapport explique des étapes qui ont été conçues pour produire un système de soins primaires intégré et efficace. Même si le rapport a été rédigé pour le Royaume-Uni, il est aussi applicable au Canada.

L’adoption de l’approche du rapport Fuller Stocktake signifierait l’unification d’équipes et de professionnels interdisciplinaires, auparavant en silos, pour qu’ils fonctionnent différemment. Le rapport fait valoir que cette approche est habituellement plus productive dans des communautés de 30 000 à 50 000 habitants, là où les équipes de tous les réseaux de soins primaires, y compris des professionnels des soins primaires de différentes disciplines, le personnel des services sociaux et celui des soins à domicile, se partagent les ressources et l’information pour lutter contre les iniquités en santé23. Il faudrait une réorganisation fondamentale de notre approche actuelle envers les soins primaires et la disponibilité des données comme moteurs des décisions, de la planification et de l’exécution des services à l’échelle du système24.

La mise en œuvre de ces 3 composantes de la vision, formulées dans le rapport Fuller Stocktake pour des soins primaires intégrés, permettrait aux systèmes locaux de planifier et d’organiser des services d’urgence et de soins d’urgence, comme la mise en place de parcours de soins d’urgence dans la communauté25. Les patients les plus vulnérables (sur le plan social ou médical) auraient la priorité pour recevoir des soins fondés sur la continuité et en temps plus opportun, prodigués par l’équipe interdisciplinaire26. L’accès à la fois à des soins préventifs et anticipatoires (p. ex. à l’appui des personnes ayant une fragilité de modérée à sévère qui n’ont pas récemment eu de contact avec les soins primaires) est nécessaire pour répondre aux besoins de la population dans la communauté27. Les buts ultimes d’une vision intégrée des soins primaires dispensés par des équipes multidisciplinaires de pratique familiale, comme ceux énoncés dans la vision du Centre de médecine de famille du CMFC, sont de maximiser le bien-être des personnes, de préserver leur autonomie et de leur permettre de prendre des décisions à propos de leurs soins28.

Offrir de la formation en soutien

La formation devrait soutenir les dirigeants et les membres des équipes de soins primaires dans la prestation en équipe de soins de grande qualité. Les programmes de résidence en médecine familiale doivent passer d’une préparation des résidents pour qu’ils dispensent des soins réactifs axés sur le médecin à une formation pour la prestation de soins primaires intégrés et en équipe, qui répondent aux besoins précis de leurs populations cibles. Par conséquent, nous avons besoin de programmes de formation qui produisent de futurs leaders en soins primaires qui comprennent comment s’épanouir par l’apprentissage permanent et la curiosité, et qui les aident à concevoir conjointement des équipes de soins primaires qui offriront les services de grande qualité dont on a besoin29. Selon Kolber et ses collègues, la génération actuelle de médecins de famille « accomplit un travail incroyable … incroyablement bien » pour relever les défis de la complexité des soins qu’ils dispensent30, mais ils auront besoin d’acquérir de nouvelles habiletés pour être capables de bien fonctionner dans de nouveaux genres de pratiques. La dysfonction du système autour de nous doit être reconnue, et nous devrions apporter les améliorations qui favorisent les valeurs et l’éthique qui nous ont amenés en médecine familiale. Collectivement, nous devons nous engager à rendre notre spécialité attrayante pour les étudiants, plutôt que d’être une discipline choisie en dernier recours.

Des circonstances impérieuses créent souvent un besoin urgent de changements, comme la transition rapide vers les soins virtuels durant la pandémie, pour ensuite y apporter de lentes et graduelles améliorations31. Cela étant, les nouvelles équipes de soins primaires qui seront formées devront participer à une amélioration continue de la qualité, et faire l’objet d’un agrément périodique et d’une supervision qui insiste sur le quintuple objectif31. Bien que les objectifs soient clairs, le monde qui nous entoure continue de changer, ce qui rend impératif que notre discipline continue elle aussi d’évoluer.

Il ne sera pas facile d’implanter notre vision et les changements nécessaires aux soins primaires. Il faudra un important changement culturel à divers paliers, de même qu’un leadership, et des modèles de gouvernance, d’évaluation et d’apprentissage appropriés qui soutiennent la réussite de la mise en œuvre. Un des aspects fondamentaux de la vision est la décentralisation qui repose sur la collaboration et la planification communautaires locales pour répondre aux besoins de la communauté tout en éliminant la redondance causée par le chevauchement des responsabilités. Parmi les changements clés susceptibles de faciliter ce renouveau se trouvent les suivants :

verser les transferts fédéraux liés à des résultats populationnels spécifiques qui incluent un accès aux soins primaires en temps opportun pour les patients souffrant de problèmes aigus et chroniques dans des milieux communautaires;

offrir des incitatifs pour des résultats concrets plutôt que pour des nombres de patients;

intégrer les systèmes de données provinciaux et territoriaux en se fondant sur des lois appropriées relatives à la protection des renseignements personnels qui permettent un partage d’information centré sur le patient;

bâtir des équipes intégrées et réceptives aux besoins de la communauté qui travaillent dans l’ensemble des services sociaux et de santé pour dispenser les soins primaires qui répondent à ces besoins;

fournir l’infrastructure, le financement et la formation nécessaires pour développer et soutenir des équipes intégrées pouvant assurer un accès approprié aux soins primaires communautaires, qu’il s’agisse de soins urgents, chroniques ou préventifs.

Conclusion

La planification et le financement des soins de santé au Canada se concentrent presque exclusivement sur le secteur des soins aigus. En cette époque de contraintes financières, les dirigeants, à tous les paliers, devraient rediriger les ressources limitées vers la planification et la prestation de services communautaires plus rentables. La crise des ressources humaines à laquelle les soins de santé font face au Canada ne fera que s’aggraver si nous ne la saisissons pas comme une opportunité de réimaginer complètement l’organisation, la prestation, l’évaluation et l’amélioration des soins primaires. Le CMFC doit encourager les médecins de famille à abandonner les modèles existants qui favorisent des pratiques en silos et déconnectées et les appuyer dans la création et la direction d’équipes dynamiques qui répondent aux besoins en soins de santé des communautés qu’elles servent. En même temps, il doit y avoir un engagement généralisé à réinvestir dans les besoins des communautés en insistant sur une prestation en dehors des murs des hôpitaux.

Footnotes

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.

Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.

This article is also in English on page 155.

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