Recours aux opioides a action rapide pour soulager les symptomes de sevrage des opioides en milieu hospitalier [Pratique]

Points clés

En milieu hospitalier, les symptômes de sevrage des opioïdes, la douleur et l’envie irrépressible de consommer des opioïdes sont souvent insuffisamment traités chez les personnes ayant un trouble lié à l’utilisation opioïdes (TUO).

La méthadone, la buprénorphine et la morphine orale à libération prolongée sont les principaux traitements par agonistes opioïdes (TAO) du TUO au Canada.

Des opioïdes à action rapide peuvent être associés au TAO en milieu hospitalier pour soulager la douleur et permettre aux personnes ayant un TUO de recevoir des soins médicalement nécessaires.

Les doses d’opioïdes à action rapide doivent être adaptées à la tolérance aux opioïdes, aux comorbidités et aux autres médicaments prescrits de la personne traitée.

Les symptômes de sevrage concomitants devraient être évalués et atténués.

Une femme de 35 ans atteinte de troubles liés à l’utilisation d’opioïdes, de méthamphétamine, de cocaïne et d’alcool s’est présentée à l’hôpital avec des idées suicidaires et des symptômes graves de sevrage des opioïdes. Elle avait déjà fait 3 tentatives de suicide et de multiples surdoses d’opioïdes accidentelles, dont l’une a eu lieu dans la salle de bain lors d’une hospitalisation. Huit jours plus tôt, elle avait cessé sa prise quotidienne de 150 mg de méthadone et de 200 mg de morphine orale à libération prolongée. Elle a déclaré consommer de grandes quantités de fentanyl par voie intraveineuse, en même temps que la méthadone et la morphine et après les avoir arrêtés. Sa dernière consommation d’alcool remontait à 7 jours. Elle avait déjà subi des convulsions après avoir arrêté de consommer du fentanyl illicite. Elle avait également des antécédents de trouble de stress post-traumatique, de trouble dépressif majeur, de trouble de la personnalité limite, de trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité et d’hypothyroïdie.

Au moment de la consultation, sa fréquence cardiaque était de 90 battements par minute et sa pression artérielle était à 144/93 mm Hg. Elle présentait une douleur articulaire ou musculaire intense, des crampes abdominales, de l’agitation, des pupilles modérément dilatées, une horripilation et de l’anxiété. Nous avons recommencé à lui administrer les médicaments qu’elle prenait chez elle (prazosine, lévothyroxine, dextroamphétamine/amphétamine à libération prolongée, propranolol, quétiapine, clonazépam et témazépam) au service des urgences. Nous lui avons prescrit 8 mg d’hydromorphone à prendre par voie orale toutes les 2 heures au besoin pour le sevrage des opioïdes. Au premier jour d’hospitalisation, elle a reçu 30 mg de méthadone par voie orale le matin et 64 mg d’hydromorphone au cours de la journée. Ces doses n’ont pas soulagé son inconfort. Au deuxième jour, nous avons partiellement converti sa précédente dose totale d’opioïdes à action rapide en une dose quotidienne de 200 mg de morphine orale à libération prolongée, et nous avons remplacé ses médicaments à prendre au besoin pour le sevrage des opioïdes par 40 mg de morphine orale toutes les 4 heures au besoin, ce qui a atténué ses symptômes de sevrage et amélioré son confort. Nous l’avons ensuite envoyée suivre un traitement à l’hôpital pour ses troubles psychiatriques et liés à l’utilisation de substances psychoactives, qui comprenait notamment une augmentation graduelle de la dose de méthadone et de morphine orale à libération prolongée.

La patiente a reçu son congé environ un mois et demi plus tard, quelques jours avant d’être admise dans un centre résidentiel de traitement de la toxicomanie. Au moment du congé, elle prenait 70 mg de méthadone par voie orale et 350 mg de morphine orale à libération prolongée par jour.

Discussion

Le cas de cette patiente met en lumière certaines des difficultés rencontrées par la patientèle ayant un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes (TUO) lorsqu’elle se présente à l’hôpital. Il n’existe aucune ligne directrice au Canada ou aux États-Unis pour la prise en charge du sevrage du fentanyl en milieu hospitalier. Dans un tel environnement, le traitement des symptômes de sevrage (des opioïdes ou autre), de la douleur et de l’envie irrépressible de consommer est couramment insuffisant chez cette patientèle qui, souvent, rencontre de la stigmatisation de la part des prestataires de soins de santé et de l’ensemble du système et quitte l’hôpital avant l’autorisation d’un médecin13.

Notre patiente présentait un risque élevé de surdose : elle en avait déjà fait à de multiples reprises; elle prenait plusieurs médicaments, y compris des benzodiazépines et d’autres sédatifs; elle avait récemment arrêté de prendre de la méthadone et de la morphine orale à libération prolongée; elle présentait en concomitance des troubles psychiatriques et liés à l’utilisation de substances psychoactives; et elle avait des pensées suicidaires. Ces pensées suicidaires sont courantes chez les personnes présentant un TUO, et la multiplication des surdoses de drogue peut être associée à des tendances suicidaires4.

Il existe 3 principales options de traitement par agonistes opioïdes (TAO) du TUO au Canada : la buprénorphine, la méthadone et la morphine orale à libération prolongée. La buprénorphine est un agoniste partiel du récepteur opioïde μ dont la demi-vie est de 24–42 heures5. Elle a un effet de plafonnement sur la dépression respiratoire, ce qui réduit la possibilité de surdose, et est le traitement de première intention du TUO au pays6. Elle n’est toutefois pas efficace chez l’ensemble de la patientèle, et si on commence à l’administrer trop tôt après la dernière utilisation d’un agoniste opioïde complet, on risque notamment de précipiter le sevrage. La méthadone est quant à elle un agoniste opioïde complet à demi-vie longue et variable (de 8 à 59 h)7. Des lignes directrices recommandent d’attendre plusieurs jours entre chaque augmentation de la dose de méthadone; il peut donc se passer plusieurs semaines avant l’atteinte des doses thérapeutiques pour le sevrage des opioïdes et l’élimination de l’envie irrépressible de consommer7,8. La méthadone est efficace pour traiter le TUO, mais entraîne un plus grand risque de surdose, d’interactions médicamenteuses et d’autres effets indésirables (p. ex., allongement de l’intervalle QT et torsades de pointes) que la buprénorphine6,7. Elle est aussi généralement administrée sous supervision et servie au jour le jour par les pharmacies, ce qui constitue un obstacle important pour une grande partie de la patientèle8,9. Enfin, la morphine orale à libération prolongée est une option de traitement hors indication de troisième intention (tableau 1). En Ontario, une communauté de pratique a établi une ligne directrice basée sur l’avis de spécialistes qui recommandait la prescription concomitante de méthadone et de morphine orale à libération prolongée, bien que les données sur cette pratique soient limitées8. Les opioïdes à action rapide prescrits hors indication garantissent la sûreté de l’approvisionnement des substances consommées, mais la qualité des données probantes associées à cette approche est plus faible que celle des 2 autres10.

Lorsqu’une personne recevant de la méthadone se présente à l’hôpital, il convient généralement de confirmer le moment de la dernière dose reçue auprès de la pharmacie. Les lignes directrices recommandent normalement de réduire de moitié la dose de méthadone après l’omission de 3 doses, et de reprendre la méthadone à 30 mg après l’omission de 4 doses8; toutefois, la ligne directrice de la communauté de pratique de l’Ontario préconise maintenant de plus longues périodes d’attente avant les réductions de dose et suggère que l’administration de doses de départ plus élevées en milieu hospitalier pourrait être envisagée8. Les réductions de dose après l’omission de doses consécutives se justifient par le fait que la tolérance physiologique à l’égard de la méthadone peut se perdre rapidement et que la tolérance croisée entre la méthadone et d’autres opioïdes est incomplète7. Il existe donc un risque de surdosage iatrogène si la méthadone est reprise à une dose élevée après une absence d’utilisation. Les pharmaciennes et pharmaciens d’hôpitaux peuvent fournir des conseils importants sur l’instauration d’un traitement par méthadone et l’ajustement des doses, surtout chez les personnes prenant plusieurs médicaments et présentant un risque d’interactions médicamenteuses.

Comme c’est souvent le cas avec la patientèle consommant du fentanyl, notre patiente n’obtenait pas un soulagement suffisant de ses symptômes de sevrage après avoir reçu une première dose quotidienne de 30 mg de méthadone par voie orale. Si la méthadone est administrée plus fréquemment ou à des doses plus élevées pour soulager les symptômes de sevrage, il y a un risque « d’accumulation de doses ». Ce phénomène se produit lorsqu’une dose supplémentaire de méthadone est administrée alors que les doses précédentes n’ont toujours pas été métabolisées, ce qui peut mener à un surdosage iatrogène. Pour éviter cette issue tout en soulageant les symptômes de sevrage, nous avons combiné la méthadone à des opioïdes à action rapide.

Les opioïdes à action rapide peuvent être administrés hors indication, sans autre médicament ou d’une manière qui facilite l’instauration d’un traitement par méthadone ou buprénorphine1,2. Il n’y a pas de lignes directrices uniformément acceptées sur la détermination de la dose d’opioïdes à action rapide à administrer pour soulager les symptômes de sevrage, et les intervalles posologiques doivent être adaptés aux habitudes de consommation d’opioïdes et à la tolérance de la personne traitée. Nous déterminons la dose initiale en fonction de la gravité du sevrage du patient ou de la patiente (y compris les signes objectifs), de sa tolérance aux opioïdes (selon la quantité d’opioïdes illicites consommés, la fréquence et le mode de consommation et la tolérance établie à la méthadone, à la buprénorphine ou aux opioïdes à action rapide), de ses comorbidités et des sédatifs déjà prescrits (surtout les benzodiazépines). De plus, nous fournissons généralement de faibles doses initiales en tentant d’équilibrer le besoin de veiller à la sûreté de l’administration des médicaments et l’importance de soulager les symptômes de sevrage.

Pour le sevrage du fentanyl illicite consommé régulièrement, on commence habituellement par administrer de 4 à 6 mg d’hydromorphone par voie orale toutes les 3 heures au besoin, de 20–30 mg de morphine par voie orale toutes les 3–4 heures ou de 15–20 mg d’oxycodone par voie orale toutes les 4 heures en plus de la méthadone. Il faut réévaluer la personne traitée fréquemment, surtout après la dose initiale, et ajuster les doses ou passer à des préparations intraveineuses au besoin. On interrompt le traitement si la personne est sous sédation, présente des signes d’intoxication ou est atteinte de dépression respiratoire. Il faut envisager des doses plus faibles si l’on soupçonne une faible tolérance aux opioïdes, de la fragilité, une insuffisance rénale ou hépatique ou l’utilisation concomitante de sédatifs-hypnotiques. Les personnes admises dans des services médicaux ou chirurgicaux avec d’autres prescriptions de médicaments ou des comorbidités complexes qui réduisent la pulsion respiratoire (p. ex., les exacerbations de la maladie pulmonaire obstructive chronique) peuvent aussi bénéficier de doses plus faibles et d’une surveillance par oxymétrie de pouls continue. À l’inverse, on peut envisager avec prudence des doses initiales plus élevées ou des préparations intraveineuses chez les personnes dont on sait qu’elles ont une tolérance élevée aux opioïdes; la consultation de spécialistes peut être utile dans ce cas. Selon cette approche, l’administration d’opioïdes à action rapide au besoin devrait être basée sur un signalement par la personne traitée de symptômes de sevrage, de douleur et d’une envie irrépressible de consommer, et ne nécessite pas de recourir à un seuil ou à une échelle en particulier, comme l’échelle clinique des symptômes de sevrage des opioïdes (Clinical Opiate Withdrawal Scale). Les doses sont généralement plus élevées que celles administrées aux fins d’analgésie chez les personnes n’ayant jamais pris d’opioïdes, et certaines personnes ont besoin de doses considérablement plus élevées.

Une mise en garde importante s’impose concernant l’utilisation d’opioïdes à action rapide pour le sevrage des opioïdes, car il existe peu de données prospectives évaluant leur innocuité et leur efficacité1. Mais il n’existe pas non plus d’études évaluant l’innocuité ou l’efficacité relatives à l’application d’approches conçues pour le sevrage de l’héroïne au sevrage du fentanyl11. Par ailleurs, il n’existe pas non plus de pratiques exemplaires faisant l’unanimité quant à la prise en charge des sevrages concomitants des benzodiazépines ou de la xylazine pouvant découler d’un approvisionnement en fentanyl contaminé. Dans les services d’urgence et en milieu hospitalier, nous administrons souvent au moins 1 dose d’une benzodiazépine à action prolongée (p. ex., 10 mg de diazépam par voie orale) aux personnes consommant quotidiennement du fentanyl lorsque l’approvisionnement local en fentanyl présente un risque élevé de contamination aux benzodiazépines.

La prescription d’opioïdes à action rapide pour traiter le sevrage des opioïdes en milieu hospitalier étend les principes du traitement du TUO du contexte ambulatoire au contexte hospitalier. Cela pourrait déconcerter certains médecins, étant donné les efforts de réduction de la prescription d’analgésiques opioïdes des dernières années. Il y a toutefois d’importantes différences entre l’administration d’opioïdes à des personnes ayant un TUO qui les tolèrent et qui consomment régulièrement du fentanyl (chez qui les opioïdes supplémentaires reçus à l’hôpital sont peu susceptibles d’aggraver leur trouble) et celles qui n’en ont jamais pris. Des données probantes indiquent que la diacétylmorphine et l’hydromorphone injectables, lorsqu’administrées sous supervision dans le cadre d’un traitement ambulatoire de maintien pour le TUO, peuvent améliorer les résultats cliniques des personnes atteintes d’un TUO grave et présentant une forte tendance à s’injecter des opioïdes qui n’avaient eu aucun bienfait lors de précédents essais sur le traitement par agonistes opioïdes12,13. Les deux médicaments sont approuvés par Santé Canada pour cet usage12,13. Des comprimés d’hydromorphone sont de plus en plus souvent prescrits aux personnes atteintes d’un TUO dans le cadre de programmes ambulatoires d’approvisionnement sûr en opioïdes pour réduire la morbidité et la mortalité associées à l’exposition à une source d’opioïdes toxique et non réglementée10. L’administration d’opioïdes à action rapide à la patientèle hospitalisée peut permettre d’obtenir un grand nombre de bienfaits de ces approches tout en évitant les critiques soulevées à propos des programmes d’approvisionnement sûr, notamment celles liées au risque de détournement10.

Il est plus que temps que des études cliniques améliorent la prise en charge du sevrage du fentanyl en milieu hospitalier. Entre-temps, les opioïdes à action rapide peuvent être offerts aux patientes et patients en sevrage du fentanyl selon un modèle de prise de décision partagée pour soulager leur souffrance et leur permettre de recevoir les soins hospitaliers dont ils ont besoin.

La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sousjacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs : www.cmaj.ca

Tableau 1:

Caractéristiques des traitements par agonistes opioïdes du TUO au Canada

Remerciements

Les auteurs remercient la patiente, qui a fourni un consentement éclairé écrit relativement à la publication de son cas et donné de la rétroaction sur une version préliminaire du manuscrit. Ils remercient également le Dr Allan Detsky pour ses commentaires utiles à propos d’une version précédente du manuscrit.

Footnotes

Intérêts concurrents: Robert Kleinman déclare avoir reçu des subventions de recherche provenant du Fonds de la découverte du Centre de toxicomanie et de santé mentale, des bourses de recherche et du soutien à la formation dans le cadre du Programme de bourses de recherche en médecine des toxicomanies (R25DAO33211; Institut national sur les toxicomanies), de même qu’une bourse de voyage de l’Association américaine de psychiatrie (indépendamment des travaux soumis). Ashish Thakrar déclare avoir reçu une subvention pour un projet de recherche (no R34DA057507-01A1) de l’Institut national sur les toxicomanies.

Cet article a été révisé par des pairs.

Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.

Collaborateurs : Robert Kleinman a contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude et a rédigé le manuscrit. Les deux auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation définitive pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.

Avis : Le présent manuscrit traite de la prescription de médicaments hors indication selon le cadre réglementaire canadien.

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