Un heritage despoir [Sciences humaines]

Dans cette chambre du centre de soins palliatifs, à la lueur d’un éclairage tamisé et du coucher du soleil, une jeune femme signe devant moi un formulaire de consentement de don de cerveau. Un moment de ma carrière de chercheuse clinicienne que j’ai cherché à comprendre et que je ne suis pas prête d’oublier.

Sarah avait une forte personnalité. Débordante de vie, la jeune femme blonde était remplie d’amour pour ses amis et sa famille. De nature attentionnée, cette professeure et danseuse de grand talent consacrait tous ses temps libres à perfectionner son art et à repousser ses limites. Ses chaussures à pointes, usées à la corde, témoignaient de toutes ces heures de travail acharné.

Le père de Sarah, un homme au regard bienveillant et au sourire chaleureux, me dit que, plus jeune, Sarah parlait de don d’organes au souper, consciente de la nécessité d’aider les autres. Avec fierté, il me raconte qu’elle savait se placer en retrait pour mettre en valeur d’autres personnes et que, dans la danse, elle trouvait créativité, confiance et joie.

Il me parle de sa force immense et de sa persévérance dans la maladie — chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, approches de soins non conventionnelles. Il sourit en évoquant son refus d’abandonner, et relate le moment absurde où — 24 heures seulement après un traitement agressif de chimiothérapie — elle s’était retrouvée sur la scène d’un concert de rock, exécutant des pirouettes avec sur la tête un bonnet offert par une association de lutte contre le cancer du cerveau.

***

Le glioblastome peut toucher tout le monde et après des années de lutte contre cette maladie insidieuse, il fallait bien se rendre à l’évidence que la tumeur de Sarah avait progressé et ne répondait plus au traitement. Le cancer du cerveau dépossède une personne de beaucoup de choses avant de lui prendre la vie. Tout espoir clinique envolé, le vide s’installait autour de Sarah et de sa famille. Sarah ne pouvait plus danser et avait du mal à maintenir son équilibre, mais elle tenait encore farouchement à aider les autres et avait prévu de léguer un héritage non financier et porteur d’espoir: elle avait décidé de faire don de son cerveau.

Cette décision, qui était entièrement la sienne, lui permettait de reprendre un certain contrôle, en plus de donner un sens à la souffrance de sa famille. Celle-ci nourrissait l’espoir qu’un jour, une autre petite fille enfile des chaussures de ballet roses et danse dans un monde sans glioblastome.

Les évaluations de l’équipe soignante de Sarah ont cependant fini par révéler que son état s’était trop détérioré pour qu’elle puisse donner son consentement; autrement dit, le don ne pourrait pas être fait — au grand désarroi de sa famille. Mais à l’issue d’un processus d’appel éthique, une renonciation au consentement pour le don à la biobanque de la Fondation Mark Hughes, à signer par sa famille, a été accordée.

L’importance de cet héritage pour Sarah et ses proches ne faisait aucun doute. Lorsque la sœur de Sarah est retournée à son chevet, elle lui a chuchoté à l’oreille que son souhait serait exaucé.

À mon arrivée au centre de soins palliatifs pour obtenir les signatures nécessaires de la famille, j’ai trouvé la sœur et le père de Sarah en pleurs. Était-il trop tard? Puis j’ai réalisé qu’ils souriaient à travers les larmes: Sarah était réveillée, elle parlait!

La chambre était sombre pour ne pas fatiguer ses yeux, et le soleil couchant faisait danser une douce lueur sur le lit. J’avais devant moi une femme de mon âge, aux cheveux dorés et de petite taille, entourée de photos de ses trois « enfants », un chien, un chat et un cacatoès. Souvenirs d’une vie courte, menée avec passion, dans l’aventure et avec amour. Nous avons peu parlé, son élocution était laborieuse, mais chaque mot était choisi avec soin. « Je veux que mon cerveau serve à éviter que d’autres personnes vivent ce que j’ai vécu. »

Son père s’est approché d’elle doucement. À voix basse et avec un sourire, il lui a dit tendrement qu’il allait l’aider à s’asseoir, puis il a placé un stylo dans sa main. Tout juste 24 auparavant, nous avions cru que Sarah avait perdu toutes ses fonctions cérébrales supérieures. Sa motricité fine était défaillante et elle n’était plus en mesure de tenir un stylo depuis un bon moment — mais à ce moment précis, elle y est arrivée.

Elle a signé son nom clairement. Ce n’était qu’une signature, mais pour Sarah et toutes les personnes présentes, c’était un miracle de détermination et d’altruisme.

Sarah s’est endormie peu après et ne s’est plus réveillée. Quelques jours plus tard, avec sa famille à ses côtés, plongée dans les souvenirs d’une vie beaucoup trop courte, elle s’est éteinte paisiblement.

***

L’histoire de Sarah n’est pas unique. Bien des gens qui s’occupent de personnes au seuil de la mort ont des anecdotes comparables; l’état de quelqu’un s’améliore comme par magie durant une courte période, des patients inconscients sourient à une plaisanterie ou versent une larme en guise d’adieu. Sarah, elle, a fait don de son cerveau. Une personne qui défie ainsi les limites de la compréhension et retrouve l’usage de certaines fonctions cognitives supérieures alors qu’elle est en phase terminale d’un cancer — voilà qui montre toute la force de l’esprit humain, et impose humilité et admiration.

Par son acte désintéressé, cette jeune femme inspirante et sa famille dévouée ont laissé une marque indélébile et un héritage d’espoir.

Remerciements

Les auteurs remercient la professeure Marjorie Walker pour son soutien, ses commentaires et ses efforts afin de défendre le programme et l’ensemble de travaux; Melanie Finlay pour son amitié, sa passion et son dévouement dans la lutte contre le cancer du cerveau; Duncan West pour sa collaboration outre-mer, son soutien constant et son mentorat; la Fondation Mark Hughes (MHF [Mark Hughes Foundation]) et les responsables de la coordination du Centre de recherche sur le cancer du cerveau de la MHF pour leur soutien sans faille à la communauté du cancer du cerveau et aux efforts de recherche; les patients et patientes et leurs familles qui nous enseignent l’humilité et nous confient des dons inestimables pour la recherche.

Footnotes

Cet article a été révisé par des pairs.

La famille de la patiente a donné son plein consentement à la publication de cette histoire.

Note de la rédaction: L’article est rédigé du point de vue de Cassandra Griffin, qui était présente lors des événements décrits. Les 2 autres auteurs sont des cadres supérieurs associés au programme de don de cerveau pour la recherche qui ont participé activement à la rédaction.

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