La consultation: Retour vers le futur?

Consultation1

1 : conseil, conférence

plus précisément : une délibération entre médecins au sujet d’un cas ou de son traitement

Son médecin a appelé un cardiologue pour une consultation.

2 : l’acte de consulter ou de se concerter

Il a rencontré son médecin pour une consultation et un examen réguliers.

La terminologie importe-t-elle? Dans de récents commentaires, Pimlott2 et Sandell3 discutaient de l’importance des mots dans la façon dont nous, médecins de famille, nous décrivons nous-mêmes et décrivons notre profession. Comment pouvons-nous le mieux décrire ce qui se passe quand les médecins de famille rencontrent des patients dans leur clinique? Le mot consultation s’en rapproche de près et servait auparavant à décrire ce processus, mais avec le temps, au Canada, il a disparu de cet usage. Parmi les autres expressions utilisées pour décrire cette rencontre figurent visite au cabinet, visite en clinique, rencontre médecin-patient, entrevue entre médecin et patient ou entrevue médicale.

Même si ces délibérations entourant le vocabulaire que nous utilisons peuvent sembler une futilité sémantique, la description de ce que nous faisons concrètement au quotidien a 3 importantes répercussions : elle caractérise la médecine familiale en tant que spécialité; elle influe sur la façon dont les enseignants en médecine nomment, enseignent et évaluent le construit fondamental de la médecine familiale; et elle influe sur la façon dont les médecins réfléchissent à ce qu’ils font lorsqu’ils rencontrent leurs patients.

La consultation, qu’importe la terminologie utilisée, est ce que nous « faisons » en tant que médecins de famille. Selon les estimations, jusqu’à 500 000 rencontres ont lieu chaque jour au Canada entre des patients et des médecins de famille dans leur clinique4. Silverman et ses collègues ont estimé qu’en moyenne, un médecin de famille aura 200 000 de ces rencontres durant sa vie professionnelle5. Des termes descripteurs comme visite en clinique, rencontre ou entrevue évoquent des rôles de solution de problèmes fonctionnels ou utilitaires, mais aucun d’entre eux ne capte véritablement l’essence de ce qui se passe entre les médecins et les patients. Cette essence comprend la centralité de la relation médecin-patient, les composantes affectives (contenu émotionnel, empathie, art de la communication centrée sur le patient, etc.) et cognitives (habiletés en raisonnement clinique et en gestion du temps, sélectivité, etc.), de même que le travail de « création conjointe » qui se produit durant le rendez-vous (p. ex. parce que les médecins et les patients ont un programme, une histoire, des objectifs et des attentes qui leur sont propres durant la consultation). Comme l’indique la définition complète du dictionnaire Merriam-Webster.com1, consultation est un mot qui a plusieurs sens. Dans la pratique clinique nord-américaine, le mot consultation en est venu à désigner l’action du professionnel des soins primaires ou du généraliste qui demande des conseils ou de l’aide à un professionnel de soins secondaires ou à un spécialiste. Comme ces « demandes » entre les généralistes et les spécialistes visent à répondre à des questions biomédicales, et que les réponses sont généralement données par écrit plutôt que lors d’interactions en personne entre cliniciens, le mot référence ne serait-il pas une façon plus exacte de décrire ce processus? Le mot consultation peut aussi avoir d’autres sens, mais dans le contexte médical, nous devrions raviver l’utilisation de ce mot pour désigner le cœur même de ce que font les médecins de famille au quotidien.

Contexte historique de la consultation

L’élément essentiel de la pratique médicale est l’occasion où, dans l’intimité du cabinet de consultation ou de la salle d’examen, une personne qui est malade ou qui croit l’être demande conseil à un médecin en qui elle a confiance. Il s’agit là d’une consultation, et tout le reste dans l’exercice de la médecine en dérive.

                                                                                                   Sir James Spence6

Même si la description de la consultation de Sir James Spence (qui était, en fait, pédiatre) semble un cliché, elle capte les éléments essentiels des visites en clinique à un médecin de famille : un médecin personnel digne de confiance, un patient qui cherche de l’aide et une rencontre dans un milieu intime7. D’autres expressions, comme rencontre, entrevue médicale ou visite en clinique n’arrivent pas à capter la signification de la relation médecin-patient. Rencontre n’évoque rien de la nature personnelle de l’entrevue. Entrevue médicale suggère un échange unidirectionnel et aride d’information biomédicale, et ne décrit pas une avenue où les médecins rencontrent les patients, comme l’implique l’expression visite en cabinet, qui, elle, évoque aussi un déplacement vers un endroit, habituellement sur le propre terrain du médecin, parce que les visites à domicile se font de plus en plus rares. Le mot consultation laisse entendre qu’il se produit un dialogue bidirectionnel entre le patient et le médecin, et que la rencontre concerne plus que la collecte de renseignements par le médecin et pourrait même être une simple conversation. Il y a aussi le concept de la création conjointe ou, autrement dit, la recherche d’une solution à ce qui importe, tant au patient qu’au médecin, puis de la meilleure façon de le réaliser. Usherwood8, citant Hart, décrit la consultation comme une « coproduction », où les médecins et les patients sont sur un même pied d’égalité comme participants, et la consultation est le moyen par lequel les patients et les médecins travaillent ensemble pour améliorer la santé des premiers.

Le déclin de l’usage du mot consultation au Canada reflète plusieurs des changements en médecine familiale au cours des 30 dernières années. L’érosion de la relation médecin-patient est évidente sur de nombreux fronts. Le rôle du généraliste est menacé par la tendance croissante à la spécialisation et à la surspécialisation, même au sein de la médecine familiale elle-même, alors que plusieurs nouveaux diplômés choisissent des pratiques cliblées9. La continuité des soins, qui est l’assise de relations solides entre médecins et patients, est menacée par la charge de travail, les problèmes d’accès, la complexité grandissante des modèles de soins aux patients et les pratiques en grands groupes10.

Qu’est-ce que la consultation?

La consultation est le cœur de la médecine familiale et, comme le dit Spencer, elle est « l’élément essentiel de la pratique médicale6 ».

Qu’importe où et comment elle est dispensée, en personne, par téléphone ou par lien vidéo, la consultation demeure l’expérience caractéristique de tous les médecins de famille. La consultation est l’outil principal des médecins de famille, « l’instrument » dont ils se servent jour après jour durant toute leur carrière. De la même façon que les gastroentérologues utilisent des gastroscopes, que les gynécologues se servent de colposcopes et que les anesthésiologistes ont recours aux ventilateurs, les médecins de famille se servent de la consultation. Par conséquent, les médecins de famille doivent avoir une compréhension approfondie de la structure et de la dynamique de la consultation. Ils doivent connaître la façon dont les consultations sont structurées, ce qui peut être aussi simple qu’un début, un milieu et une fin. Ce qui importe, dans ce simple cadre d’action, c’est ce qui se passe entre les médecins et les patients à chaque étape, les habiletés et les compétences qu’il faut déployer à chaque étape et, peut-être avant tout, comment reconnaître quand les consultations ne se déroulent pas comme prévu et ce qu’il faut faire lorsque cela se produit.

Contextes des soins primaires et la consultation

Même si tous les cliniciens (généralistes et spécialistes) ont une consultation avec les patients, le contexte des soins primaires façonne aussi la consultation et confère aux médecins de famille des demandes et des responsabilités uniques.

Étant les premiers points de contact, les médecins de famille doivent faire le tri entre des préoccupations indifférenciées et souvent multiples, et ce, habituellement, sans avoir recours à beaucoup de technologie médicale. Le rôle de gardiens de l’accès ajoute à la complexité de la consultation en raison du juste équilibre à faire entre, d’une part, la défense des intérêts du patient au sein du système de santé et, d’autre part, la responsabilité du médecin d’utiliser judicieusement les ressources. Par nature, les consultations sont contraintes par le temps, et la ressource la plus précieuse de toutes que les médecins de famille doivent rationner est leur propre temps. L’optimisation du temps disponible est un déterminant majeur de la qualité des soins, de même qu’un facteur clé expliquant pourquoi et comment les consultations se soldent par une réussite ou un échec. Gérer, tolérer et communiquer l’incertitude sont des éléments essentiels lorsqu’on acquiert la maîtrise en matière de compétences en consultation dans les soins primaires. La promotion de la continuité des soins (par le même médecin à des occasions subséquentes) est primordiale pour établir des relations médecins-patients efficaces, ce qui est essentiel pour le travail de cocréation accompli durant chaque consultation.

La consultation et l’éducation médicale

Si la consultation est le principal outil du médecin de famille, elle doit donc être décortiquée, examinée et comprise. La consultation est un construit complexe et multidimensionnel, qui comporte de nombreuses parties mouvantes et exige le recours à un raisonnement clinique hypothétique-déductif et à des habiletés en communication centrée sur le patient, et ce, dans le contexte de contraintes de temps bien fixes. Les programmes de résidence en médecine familiale ont le mandat d’enseigner la consultation sur le plan formatif, et le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) a celui d’évaluer la consultation sur le plan sommatif11.

L’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation de la consultation exigent que l’on porte attention à l’analyse du concept des modèles de consultation, notamment à la façon de décrire les tâches, les processus et les points de vue qui entrent en jeu durant l’interaction entre les médecins de famille et les patients12. Il est clairement démontré que les issues mesurées sur le plan de la santé sont favorablement influencées par le recours à des modèles de consultation centrée sur le patient4,5,13. Les expressions habiletés à mener une entrevue et faire l’anamnèse n’évoquent pas la même appréciation de la nature complexe, personnelle, multidirectionnelle et restreinte par le temps de l’interaction en soins primaires que ce qu’exprime l’expression habiletés en consultation.

La consultation en soins primaires est reconnue sur le plan international : il s’agit du mot privilégié pour décrire l’interaction entre les médecins de soins primaires et les patients dans les pays où un engagement envers des approches centrées sur le patient est considéré comme essentiel aux processus concernés. Le mot consultation offre une même terminologie, une même perspective et un même construit pour décrire les interactions et les transactions complexes qui se produisent dans le contexte de la médecine familiale. Cette terminologie commune est cruciale dans l’éducation et la formation médicales des médecins de famille, et elle est tirée des revues formelles de la littérature scientifique sur la pratique générale universitaire et des énoncés de cursus dans lesquels les habiletés en consultation et les modèles de consultation sont identifiés comme des composantes essentielles de la formation en médecine familiale8,14-17.

La consultation et l’évaluation

L’axiome « l’évaluation est le moteur de l’apprentissage » est largement accepté comme principe fondamental en éducation médicale18, et la principale évaluation sommative du rendement par le CMFC, soit la portion de l’entrevue médicale simulée (EMS) de l’Examen de certification en médecine familiale, en est le reflet. La formation et l’évaluation des résidents en médecine familiale au Canada devraient à juste titre se concentrer sur les rencontres entre médecins et patients comme étant des activités complexes que nous pouvons et devrions bien faire. Le concept central de l’EMS est d’évaluer les habiletés d’une personne à mener une consultation centrée sur le patient, et cette évaluation représente actuellement un rite de passage universel pour les médecins de famille au Canada. Le CMFC fournit aux candidats à l’EMS du matériel d’information qui décrit le concept comme suit : « Les EMS sont conçues pour reproduire un environnement de clinique de consultation externe dans lequel les médecins de famille exercent habituellement19 ». Une façon plus précise de décrire l’évaluation, plutôt que de mettre l’accent sur le lieu, ce qu’évoque le mot environnement, serait de dire que « Les EMS sont conçues pour simuler la consultation en médecine familiale ». La clarté du construit en cause est essentielle pour préserver la validité des évaluations lorsque les enjeux sont élevés. Bien que les approches centrées sur le patient revêtent une grande importance pour réussir à l’EMS, l’évaluation consiste en davantage que cela. Elle exige qu’on mise sur toutes les habiletés combinées, dont les compétences narratives, les connaissances médicales, le raisonnement clinique, la communication centrée sur le patient, et la conduite professionnelle et éthique, ce qui représente, même dans les meilleures conditions, un ensemble de tâches complexes et multidimensionnelles. Le fait de confondre la méthode clinique avec le rendement hors contexte dans l’évaluation est un acte de réductionnisme que la médecine familiale universitaire doit toujours garder à l’esprit et éviter20. La raison d’être de l’EMS et son accent sur la consultation demeurent au cœur de l’identité des médecins de famille.

Conclusion

La terminologie importe effectivement. La consultation, tant le mot que le concept, est l’instrument dont se servent les médecins de famille au quotidien, qui précise le construit pour les enseignants en médecine dans l’évaluation sommative des stagiaires et qui caractérise la nature de la conversation entre médecins et patients. C’est plus qu’une visite, une rencontre ou une entrevue. Le déclin dans l’utilisation du mot consultation porte à croire à une diminution et à une érosion de la signification et de l’importance de la relation médecin-patient et de tout ce qui se produit lorsque les patients rencontrent les médecins en milieu de soins primaires. Alors que nous amorçons une réexamen des pratiques d’évaluation, qui décrivent les finalités de l’apprentissage en médecine familiale21, et une prolongation de la formation en résidence au Canada, des concepts comme la relation médecin-patient, les soins centrés sur le patient et la continuité des soins doivent être renforcés et renouvelés. Envisageons donc la consultation comme étant le construit central de ce que nous faisons en tant que médecins de famille. À cause de la pandémie de la COVID-19, ces interactions se déroulent en personne, au téléphone ou par appels vidéo, mais les principes généraux de la confiance, de l’empathie, de la curiosité et de la relation médecin-patient demeurent, quel que soit le mode de contact. D’ici à ce que quelqu’un trouve un nouveau mot, nous devrions raviver non seulement l’usage du mot, mais aussi l’idée de la consultation22.

Footnotes

Remerciements

Je remercie le Dr Peter Tate qui m’a inspiré à rédiger cet article, et les Drs Eric Wooltorton et Brent Kvern, qui m’ont prodigué des conseils utiles et constructifs dans la préparation de l’article.

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.

Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.

This article is also in English on page 311.

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