Œdeme a godet generalise chez un patient presentant une myocardiopathie dilatee secondaire a une hypothyroidie [Pratique]

Points clés

La myocardiopathie dilatée est une complication rare de l’hypothyroïdie.

Les médecins doivent suspecter la myocardiopathie dilatée chez la patientèle présentant un œdème à godet généralisé.

La dysfonction cardiaque chez la patientèle atteinte de myocardiopathie dilatée secondaire à une hypothyroïdie peut être réversible avec une hormonothérapie thyroïdienne substitutive.

Les médecins devraient évaluer la fonction thyroïdienne de la patientèle atteinte de myocardiopathie dilatée inexpliquée pour rechercher une hypothyroïdie non diagnostiquée ou non traitée.

Un homme de 45 ans s’est présenté à la clinique de médecine générale en raison d’un œdème à la jambe et d’une dyspnée à l’effort, notamment en montant des marches, perdurant depuis 2 semaines. Une toux sèche était aussi apparue. Cinq ans avant l’admission, il avait reçu de son omnipraticien, qui l’avait adressé à notre clinique, un diagnostic d’hypothyroïdie écartant les causes secondaires de dyslipidémie. Nous avions diagnostiqué la thyroïdite de Hashimoto, puis son endocrinologue lui avait prescrit 150 μg/j de lévothyroxine, mais le patient a été perdu au suivi 3 ans plus tard. Il n’avait pas d’autres antécédents personnels ou familiaux pertinents tels qu’une maladie auto-immune ou cardiovasculaire. Il a dit qu’il fumait 20 cigarettes par jour depuis 25 ans, ne consommait pas d’alcool ou de substances illicites et était décorateur d’intérieur. Il ne prenait pas de médicaments au moment de l’admission.

À l’examen, le patient était conscient et alerte, afébrile, légèrement tachypnéique (22 respirations/min), normotendu (116/88 mm Hg) et à la limite de la tachycardie (100 battements/min). Sa saturation en oxygène était à 99 % à l’air ambiant. À l’auscultation pulmonaire, nous avons entendu des crépitements en fin d’inspiration dans les 2 plages pulmonaires et un troisième bruit cardiaque. Sa pression veineuse jugulaire n’était pas haute.

Nous avons observé un œdème à godet généralisé sans changement cutané sus-jacent sur le visage, les mains et du bas des jambes jusqu’au bas des mollets (figure 1). Nous avons aussi constaté un temps de décontraction musculaire allongé après percussion du tendon d’Achille (achilléogramme) (annexe 1, vidéo 1A, disponible ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220861/tab-related-content). Ses résultats d’analyses de laboratoire étaient les suivants: numération leucocytaire de 7200 cellules/μL (plage normale 3300–8600), taux d’hémoglobine de 13,6 g/dL (plage normale 13,7–16,8), taux de créatine phosphokinase de 786 U/L (plage normale 59–248), taux de créatine phosphokinase-MB de 6 U/L (taux normal < 12), taux d’albumine de 3,7 g/dL (plage normale 4,1–5,1) et taux de peptide natriurétique de type B de 1140 pg/mL (taux normal < 18,4). Le bilan thyroïdien a permis de mesurer un taux de thyréostimuline de 196,2 mUI/L (plage normale 0,27–4,2), un taux de thyroxine libre de 1,8 pmol/L (plage normale 11,58–23,17) et un taux de triiodothyronine libre à 0,74 pmol/L (plage normale 3,70–6,93).

Figure 1:Figure 1:Figure 1:

Photographie de la jambe droite d’un homme de 45 ans atteint de myocardiopathie dilatée, montrant un œdème à godet prétibial (flèche).

L’électrocardiogramme (ECG) a enregistré un léger microvoltage du complexe QRS aux dérivations des membres et une onde P biphasique à la dérivation V1 (figure 2). Une cardiomégalie et un œdème pulmonaire étaient visibles à la radiographie thoracique (figure 3A). L’ECG a mis en évidence une hypokinésie ventriculaire gauche généralisée avec une fraction d’éjection (FE) du ventricule gauche de 28,4 %, une hypertrophie ventriculaire gauche avec un diamètre télédiastolique de 58,5 mm et une pression systolique ventriculaire droite estimée à 70,7 mm Hg. Une dysfonction contractile du ventricule gauche, avec une FE de 22,5 % pour le ventricule gauche et de 15,3 % pour le droit, a aussi été constatée à l’examen d’imagerie cardiaque par résonance magnétique (IRM) (annexe 2, vidéos 2A et 2B, disponibles ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220861/tab-related-content). Nous n’avons toutefois pas constaté de rehaussement tardif après injection de gadolinium ou de changement du temps de relaxation T1 natif à la cartographie T1, ni de signes d’œdème ou de fibrose myocardique.

Figure 2:Figure 2:Figure 2:

Tracé de l’électrocardiogramme d’un homme de 45 ans atteint de myocardiopathie dilatée, effectué à l’admission, montrant un léger microvoltage du complexe QRS aux dérivations des membres et une onde P biphasique à la dérivation V1, avec un intervalle QT corrigé (formule de Hodges) de 427 ms.

Figure 3:Figure 3:Figure 3:

Radiographies thoraciques postéro-antérieures d’un homme de 45 ans atteint de myocardiopathie dilatée. (A) Radiographie réalisée le jour de l’admission révélant une cardiomégalie, un flou péri-hilaire bilatéral, une petite effusion pleurale (flèche) et un épaississement septal interlobulaire (tête de flèche). (B) Radiographie réalisée 2 mois après le congé hospitalier montrant une diminution de la myocardiopathie et la disparition de l’œdème pulmonaire.

Sur la base de discussions avec les équipes de cardiologie et d’endocrinologie, ainsi que des signes et symptômes émergents du patient, des changements ECG non spécifiques, des données biochimiques d’hypothyroïdie grave et de l’absence de rehaussement tardif après injection de gadolinium à l’IRM cardiaque, nous avons supposé que la présentation était la conséquence d’une hypothyroïdie grave non traitée. Nous avons inclus la cardiopathie ischémique et l’aggravation d’une maladie pulmonaire chronique dans notre diagnostic différentiel, étant donné que le patient était fumeur (même s’il n’avait jamais reçu de diagnostic de bronchopneumopathie chronique obstructive ni consulté pour des symptômes tels que l’essoufflement). Nous avons diagnostiqué une insuffisance cardiaque congestive secondaire à une myocardiopathie dilatée provoquée par une hypothyroïdie non traitée.

Nous avons traité les symptômes d’insuffisance cardiaque avec du furosémide par voie orale (20 mg/j) et de la spironolactone (25 mg/j). Pour les symptômes d’hypothyroïdie, nous avons commencé à administrer de faibles doses de lévothyroxine (6,25 μg/j) en augmentant la dose chaque semaine pour éviter tout événement cardiovasculaire indésirable. Nous avons donné congé au patient après 22 jours d’hospitalisation, avec une prescription de lévothyroxine (37,5 μg/j).

Nous l’avons suivi régulièrement en consultation externe. Deux mois après le congé hospitalier, ses symptômes avaient complètement disparu et la radiographie thoracique permettait d’observer une régression de la cardiomégalie et une absence de signes d’œdème pulmonaire (figure 3B). La spironolactone a donc été arrêtée et le furosémide a été réduit à 10 mg/j, puis arrêté au bout de 2 mois. Trois mois après le congé, son temps de décontraction musculaire allongé était rentré dans l’ordre (annexe 1, vidéo 1B). Au bout de 6 mois, les paramètres biochimiques de la fonction thyroïdienne étaient revenus à la normale avec 150 μg/j de lévothyroxine (tableau 1). La fonction du ventricule gauche s’est aussi améliorée progressivement et, au bout de 17 mois, l’IRM cardiaque a permis d’observer une amélioration de la contractilité cardiaque (annexe 2, vidéos 2C et 2D) avec une FE de 49,1 % pour le ventricule gauche et de 56 % pour le droit. Au suivi de 2 ans, il était asymptomatique et capable de travailler normalement.

Tableau 1:

Examens et posologie de lévothyroxine pour un homme de 45 ans atteint de myocardiopathie secondaire à une hypothyroïdie

Discussion

L’œdème est un symptôme fréquent qui a plusieurs causes, dont des maladies mortelles telles que l’insuffisance rénale et l’insuffisance cardiaque. Pour trouver la cause sous-jacente, il faut différencier les œdèmes à godet des œdèmes fermes à l’examen physique. Les médecins doivent évaluer l’étendue de l’œdème, la douleur à la pression et les changements cutanés associés (température, couleur et texture)1. Les œdèmes fermes, ou myxœdèmes, sont fréquents chez la patientèle atteinte de lymphœdème et d’hypothyroïdie1 et surviennent dans les zones périphériques comme le visage ou les extrémités, avec une présentation d’œdème généralisé dans certains cas2.

Nous avons d’abord pensé que la dyspnée à l’effort de notre patient était due à la fatigue généralisée fréquente en cas d’hypothyroïdie. Néanmoins, c’est aussi un symptôme commun d’insuffisance cardiaque aiguë, qui doit donc rester un diagnostic différentiel. De plus, l’œdème aurait dû être ferme si tous les signes et symptômes avaient été secondaires à l’hypothyroïdie. Comme il s’agissait d’un œdème à godet généralisé, nous avons recherché des signes d’insuffisance cardiaque.

Les manifestations cardiovasculaires classiques de l’hypothyroïdie comprennent la bradycardie, l’épanchement péricardique et une diminution de la pression pulsée3,4. La maladie peut entraîner une contractilité cardiaque anormale et un dysfonctionnement diastolique, qui s’améliorent généralement avec une hormonothérapie thyroïdienne substitutive4. Notre patient présentait toutefois une évolution clinique et des résultats d’imagerie extrêmes et il avait contracté une myocardiopathie dilatée, caractérisée par le dysfonctionnement de la contractilité et de la dilatation du ventricule gauche. Il s’agit d’un type classique de myocardiopathie non ischémique, mais d’une complication cardiaque rare de l’hypothyroïdie pour laquelle, compte tenu du peu de cas décrits jusqu’à maintenant4,5, il existe peu de données épidémiologiques3,5.

Le mécanisme exact d’apparition de la myocardiopathie dilatée chez la patientèle atteinte d’hypothyroïdie reste à déterminer. Outre l’action connue des hormones thyroïdiennes sur le cœur, passant par des effets génomiques et non génomiques, des études récentes ont permis de constater des variations de l’expression génique associées à la biosynthèse ou à la diminution de la biodisponibilité de ces hormones dans les tissus de la patientèle atteinte de myocardiopathie dilatée7. La dysfonction cardiaque de la patientèle atteinte de myocardiopathie dilatée secondaire à une hypothyroïdie peut être réversible avec une hormonothérapie thyroïdienne substitutive3,6. Il est rare que l’hypothyroïdie suffise à provoquer une myocardiopathie dilatée, mais les médecins devraient tester la fonction thyroïdienne en cas de myocardiopathie dilatée inexpliquée4.

Des événements cardiovasculaires majeurs indésirables risquent de survenir en cas d’hormonothérapie thyroïdienne substitutive trop rapide, sans posologie progressive, en particulier chez une patientèle âgée ou atteinte d’une cardiopathie ischémique, d’une dysfonction cardiaque sous-jacente, ou d’une hypothyroïdie grave de longue date4,8. Dans le cas de notre patient, l’arrêt de la lévothyroxine (150 μg/j) 2 ans avant cette présentation avait été suivi de l’apparition d’une insuffisance cardiaque avec dysfonction cardiaque grave. Même si le patient n’avait pas de maladie cardiaque sous-jacente, nous craignions fortement un événement cardiovasculaire majeur indésirable en cas d’hormonothérapie thyroïdienne substitutive agressive et avons donc administré une dose initiale faible de lévothyroxine, augmentée graduellement chaque semaine avec un suivi étroit. Toutefois, peu de données soutiennent cette approche « petit à petit », qui repose surtout sur une convention4,8,9. Nous ignorons si des patients aux caractéristiques cliniques semblables pourraient tolérer une augmentation plus rapide de la dose, qui accélérerait la normalisation de la fonction thyroïdienne.

Nous avons eu recours à l’IRM cardiaque et à l’échocardiographie pour le diagnostic et le suivi du patient. L’IRM cardiaque est une modalité technique prometteuse pour l’évaluation de la fonction ventriculaire gauche de la patientèle atteinte de myocardiopathie dilatée et leur suivi, car elle offre un degré élevé de résolution spatiale et de reproductibilité10. L’utilisation d’une technique de cartographie T1 à l’IRM cardiaque permet en outre de quantifier les données, ce qui est utile pour évaluer la patientèle atteinte de maladies du myocarde diffuses, telles que la myocardiopathie dilatée non ischémique11. Peu de cas de myocardiopathie dilatée secondaire à une hypothyroïdie ont toutefois été évalués et suivis à l’IRM cardiaque, mais des travaux ont permis de constater l’utilité de l’IRM cardiaque pour distinguer la coronaropathie de la myocardiopathie dilatée12.

La patientèle atteinte d’hypothyroïdie profonde présente parfois un œdème généralisé et une dyspnée. Les médecins doivent soupçonner une insuffisance cardiaque et une myocardiopathie en plus de l’hypothyroïdie. La myocardiopathie dilatée secondaire à une hypothyroïdie est rare, mais il est recommandé de tester la fonction thyroïdienne de la patientèle atteinte de myocardiopathie dilatée inexpliquée; la dysfonction est réversible avec une hormonothérapie thyroïdienne substitutive.

Des vidéos de la percussion du tendon d’Achille et de l’imagerie cardiaque par résonance magnétique d’un homme de 45 ans atteint de myocardiopathie dilatée secondaire à une hypothyroïdie sont disponibles dans l’annexe 1 et l’annexe 2, accessibles ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220861/tab-related-content.

La section « Études de cas » présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs: www.cmaj.ca

Footnotes

Intérêts concurrents: Aucun déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Les auteurs ont obtenu le consentement du patient.

Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Naoki Matsuura a rédigé le manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.

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