Soutenir le choix du patient en fin de vie [Pratique]

À 77 ans, Monika était mère de 2 enfants et grand-mère de 4 petits-enfants et elle souffrait depuis plusieurs années de différents problèmes de santé mentale et physique. Elle était atteinte d’un trouble bipolaire qui, au cours des dernières années de sa vie, était bien contrôlé par un psychiatre.

Monika était une personne chaleureuse et aimante qui se souciait profondément de sa famille, de ses amis, des personnes qui prenaient soin d’elle ainsi que de son chien Trixie. Elle aimait la musique et le jardinage en plus d’avoir plusieurs aliments favoris, surtout les sucreries.

En 1996, elle avait attenté à ses jours, ce qui avait entraîné une paraplégie à long terme, associée à des problèmes de santé chroniques, dont une douleur progressive et chronique aux membres inférieurs. Au cours des années, elle avait reçu de nombreux traitements, dont différentes classes de médicaments (antispasmodiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens, antidépresseurs tricycliques, anticonvulsivants et opioïdes), du cannabis médicinal, des injections de cortisone, des injections de toxine botulinique ainsi qu’eut recours à des consultations auprès de physiothérapeutes et de physiatries. Malgré ces tentatives pour la soulager, son état s’est aggravé au point où elle ne pouvait demeurer à domicile en toute sécurité en raison de l’incapacité fonctionnelle causée par la douleur. Elle s’est présentée au service des urgences et on l’a hospitalisée.

À l’hôpital, les options médicales à la prise en charge de la douleur ne permettaient pas d’atteindre un niveau de soulagement acceptable ou entraînaient des effets indésirables intolérables. Parmi ces options, on comptait des essais de kétamine, de lidocaïne et de suboxone sous forme intraveineuse.

Monika, avec le soutien de ses enfants, a demandé l’aide médicale à mourir (AMM). On l’a jugée admissible à l’MM en vertu du projet de loi C-7, un amendement à la loi sur l’AMM du Canada qui a été adopté en mars 2021 et qui supprimait l’obligation que la mort naturelle d’une personne soit raisonnablement prévisible1. Le projet de loi C-7 comprend de nombreuses mesures de sauvegarde, dont une période de 90 jours entre l’évaluation initiale permettant de définir l’admissibilité à l’AMM et sa mise en œuvre. Cependant, si des signes tendent à démontrer que le patient pourrait perdre la capacité de consentir de façon imminente, on peut raccourcir cette période.

Au cours de son hospitalisation qui a duré 1 mois, Monika a développé un syndrome confusionnel multifactoriel qui, selon ses médecins, la mettait à risque de perdre la capacité de consentir à l’aide médicale à mourir; ils ont raccourci la période de 90 jours réservée à l’évaluation.

Point de vue du fils

Je me souviens de ma mère comme d’une femme très aimante et bienveillante lorsque j’étais enfant. Je m’appuyais sur sa personnalité chaleureuse et merveilleuse.

Par moment, les 26 dernières années ont été très difficiles pour nous; les problèmes de santé mentale de ma mère ainsi que la détérioration de sa santé physique ont souvent rendu très difficile sa vie au quotidien. Malgré tout, elle sentait que sa qualité de vie était meilleure que celle de bien des personnes souffrantes dans le monde. Elle ne tenait pas la vie pour acquise.

La douleur de Monika est devenue terrible et progressive. Au cours des derniers mois de sa vie, elle m’appelait plusieurs fois par semaine en pleurant et très angoissée. Malgré tout ce qui a été tenté — que ce soit un autre spécialiste, un autre médicament ou un autre traitement — rien n’a fonctionné. Je me sentais impuissant. Ma sœur Nadia et moi avions peur qu’elle fasse une surdose d’analgésiques. Je ne pouvais l’imaginer traverser seule cette épreuve.

Ma mère a décidé de demander l’AMM, avec tout notre soutien. Lorsqu’elle était stressée ou qu’elle souffrait, elle éprouvait des difficultés à communiquer de façon efficace; nous étions inquiets de la manière dont sa situation serait évaluée par son équipe de soins de santé, en raison des restrictions imposées par la COVID-19.

À l’hôpital, l’équipe des soins palliatifs a fait appel au service de contrôle de la douleur aiguë et ils ont offert un soutien incroyable, rempli de compassion. Nous leur parlions presque tous les jours et mon esprit était apaisé sachant que ma mère recevait les meilleurs soins possibles. La compassion et la patience de tous les intervenants ont rendu cette expérience tolérable; je sentais qu’ils étaient ses champions. Cependant, la douleur persistait malgré toutes les tentatives.

Lorsque la période d’attente prévue de 3 mois a été soudainement raccourcie à 48 heures, j’ai compris. À quoi bon étirer le temps des au revoir lorsque ce temps est vécu en luttant contre la douleur? J’ai vécu ces 2 journées comme dans un brouillard. Étonnamment, ma mère a très bien dormi pour la première fois depuis plusieurs mois. Pourquoi? Était-ce l’efficacité partielle des analgésiques? Était-ce le déclenchement du délire? Était-ce dû au calme qui accompagne le fait de savoir que sa souffrance finirait par prendre fin?

Les dernières heures ont passé trop rapidement. Nadia, ma mère et moi avons ri; nous avons pleuré, nous avons écouté de la musique et ma mère a chanté une vieille chanson allemande que je n’avais pas entendue depuis des décennies. Je n’ai pas dit « au revoir » ou « je t’aime » pendant ces trop brèves dernières secondes, mais notre lien était plus solide que jamais. Elle est partie si doucement. Ça a été incroyablement difficile d’être là, mais je ne voudrais rien changer à cette journée. — Norman Nasser

Point de vue de la fille

Rien n’est plus difficile qu’être le témoin des douleurs atroces d’une personne que vous aimez sans espoir de la soulager. Maman ressentait des douleurs de façon sporadique depuis son accident en 1996. Ces douleurs étaient devenues insupportables au cours des 8 mois précédant son décès.

Mon frère Norm persistait dans ses efforts pour programmer des rendez-vous avec des médecins généralistes et des spécialistes de la douleur, en plus de l’aider à entreprendre des traitements alternatifs, de l’ostéopathie à l’hypnothérapie. Rien ne fonctionnait pour plus de quelques jours, lorsque cela fonctionnait.

Je me sentais incroyablement impuissante, sachant que je ne pouvais rien faire pour soulager sa douleur.

Norm et moi avons vécu un triste épisode lorsque nous avons pensé que Maman réglerait possiblement la situation par ses propres moyens en faisant une tentative de suicide. Elle en avait parlé comme d’une méthode rapide pour mettre fin à ses douleurs. Elle serait sans doute seule à ce moment, ce qui était une pensée épouvantable. Qu’arriverait-il si elle ne réussissait pas et que son état se détériorait? Nous ne voulions pas qu’une tentative de suicide soit une option pour notre mère. Nous avons fait un appel désespéré au médecin de famille de Maman qui a recommandé une hospitalisation au Service des soins intensifs pour la prise en charge de sa douleur.

Lorsque Maman a pris la décision de demander l’AMM, j’ai pensé que la période d’évaluation de 3 mois nous donnerait assez de temps pour nous dire au revoir, nous rappeler le passé et passer du temps ensemble, du temps que nous chéririons. Lorsqu’on a écourté la période d’évaluation de façon drastique, j’étais reconnaissante que ce processus expéditif répondait aux souhaits de Maman, mais c’était un choc de savoir qu’elle nous quitterait si rapidement. Nous ne pouvions plus tenir le temps pour acquis. Le temps était devenu un privilège et il s’écoulait très rapidement.

On m’a donné la permission de visiter Maman la veille de l’administration de l’AMM et d’être auprès d’elle jusqu’à ce que l’intervention soit terminée. Maman, sujette à des niveaux élevés d’anxiété, était calme comme nous ne l’avions pas vue depuis longtemps. Elle a dormi toute la nuit, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années.

Le matin de l’intervention, Norm, Maman et moi avons fait nos adieux, accompagnés de la musique d’un album de Tom Jones, buvant une bière allemande et dégustant ses mets favoris. Je sentais que je devais être brave pour ne pas peiner Maman. C’était tellement difficile. Cependant, je savais que Maman était en paix avec sa décision et cela m’a aidé à me réconcilier avec le fait de la perdre.

Le vide est immense. Elle me manque tellement. Elle me hante comme elle avait promis de le faire! Je continue de lui parler et d’entendre sa voix. Je suis tellement reconnaissante à mon frère Norm pour sa détermination à lui obtenir l’aide dont elle avait besoin ainsi qu’à l’équipe médicale pour leur écoute attentive et pour avoir défendu son droit à mourir dans la dignité. — Nadia Pruett

Point de vue de l’infirmier praticien spécialisé dans la prise en charge de la douleur

À de nombreuses reprises au cours d’une année, mes collègues des soins palliatifs font appel à mes services pour des patients ayant des besoins complexes en matière de prise en charge de la douleur. J’adore ces collaborations. Faire partie du cercle de soins de Monika s’est avéré une expérience particulièrement unique. On m’avait dit qu’une douleur invalidante avait mené Monika à demander l’AMM. Avant de la rencontrer, différentes pensées me sont venues à l’esprit : « Est-ce vraiment l’objectif? Si nous arrivons à contrôler la douleur, est-ce que le point de vue de Monika changera? »

Lorsque j’ai rencontré Monika, sa souffrance était immédiatement apparente. Sa posture, ses expressions et les spasmes soudains qui contorsionnaient son corps soulignaient la description qu’elle faisait de sa douleur et de ses souffrances. Malgré tout, Monika avait choisi d’afficher une attitude de calme et de dignité. Elle était une femme très fière. Elle était inspirante.

Monika voulait que sa douleur soit mieux prise en charge, mais le plus important pour elle était de garder toute sa tête, car c’était « tout ce qui lui restait ». J’ai proposé quelques nouvelles options pour contrôler la douleur et nous nous sommes entendus sur un plan. J’ai rencontré son fils, Norm, et je me souviens m’être demandé « Qu’est-ce qu’il pense de tout cela? ». Il était apparent que Norm soutenait entièrement les objectifs et les décisions de sa mère. Il avait défendu ses intérêts sans relâche et depuis si longtemps. J’ai senti qu’il y trouvait un peu de paix et que la demande de sa mère de recevoir l’AMM offrait finalement une solution claire pour répondre à ses désirs.

Bien que les nouveaux traitements aient accordé à Monika de brefs moments de soulagement, ils ne perduraient pas. Monika mentionnait avoir l’esprit clair après avoir interrompu plusieurs de ses analgésiques de longue date et en avoir entamé de nouveaux. J’aime à penser que cette plus grande lucidité a contribué à ce que tous se sentent un peu plus à l’aise avec la décision de Monika de recevoir l’AMM.

J’ai vu Monika la journée de son décès. C’était merveilleux de voir sa chambre remplie de photographies et de musique. Norm et Nadia étaient présents. Les odeurs délicieuses de ses mets favoris remplissaient mes narines. C’était agréable de sentir que je n’étais plus dans un hôpital pour un bref moment. D’une certaine façon, j’avais l’impression d’assister à une fête organisée pour souligner un départ à la retraite; le départ d’une vie bien remplie. Une retraite selon les termes de Monika. Il était difficile de quitter la chambre. Aider Monika et sa famille à trouver la paix dans ses décisions était un privilège et un honneur. — Jason Sawyer

Point de vue de la médecin spécialisée en soins palliatifs

Au sommet de la troisième vague de la pandémie de COVID-19, on m’a demandé de voir une nouvelle patiente, hospitalisée pour des douleurs chroniques. Elle avait demandé une consultation en soins palliatifs, ce qui était inhabituel en l’absence d’un diagnostic compromettant l’espérance de vie de la patiente. Je suis donc allée la rencontrer.

Alors que j’étais au chevet de Monika, elle était envahie par des douleurs paroxystiques, mais pendant ses brefs moments de répit, elle démontrait un sens de l’humour teinté d’ironie. Sur le plateau à son chevet se trouvait un petit paquet de feuilles faisant la liste de la multitude de spécialistes qui avaient tenté de prendre en charge ses douleurs complexes. Ce qui était aussi inhabituel — une note était inscrite au bas de la page : elle voulait qu’on évalue l’admissibilité de sa demande d’AMM.

J’ai rencontré Monika tous les jours au cours du mois suivant. Je me suis appuyée sur l’expertise de toutes les équipes de spécialistes que j’ai pu trouver afin d’obtenir une deuxième et une troisième opinion en matière de prise en charge de la douleur. Monika a vaillamment accepté chaque option thérapeutique que nous lui avons présentée, bien qu’elle démontrait aussi, et ce, depuis le moment de notre première rencontre, une grande certitude dans son désir de procéder avec sa demande d’AMM.

On avait sanctionné le projet de loi C-7 quelques semaines auparavant, au Canada, élargissant l’accès à l’AMM aux personnes qui, comme Monika, ne font pas face à une mort naturelle raisonnablement prévisible. J’avais prodigué l’AMM sous la version antérieure de la loi et je soutenais les principes du projet de loi C-7. Mais j’entrais en territoire inconnu. Soudainement, je faisais face au projet de loi C-7 beaucoup plus rapidement que ce que j’avais anticipé. Plus que tout, Monika voulait soulager ses souffrances, mais je luttais contre l’idée de prodiguer l’AMM à une patiente qui pouvait autrement vivre pendant des années, bien qu’en étant constamment à l’agonie.

J’ai procédé lentement, avec les conseils précieux de mentors. J’ai essayé de faire preuve d’ouverture face à la demande de Monika. J’ai pris connaissance des années qu’elle a passées à vivre avec la douleur chronique et de la clarté de ses souhaits. J’ai noté le soutien indéfectible de sa famille. J’ai reconfirmé avec des experts que son souhait était conforme à la loi. J’en suis venue à la conclusion que ce dont elle avait besoin en ce moment, c’était le soutien de son équipe de soins de santé. Bientôt, je naviguais sur ce territoire avec une aisance que je n’avais pas anticipée.

J’ai dû faire face à un nouveau défi lorsque Monika a été atteinte de complications médicales qui pouvaient compromettre sa capacité à consentir à l’AMM à l’avenir. Elle présentait un syndrome confusionnel intermittent causé par un éventail de facteurs, comme des changements dans les salles d’hôpital et dans les médicaments ainsi qu’une infection des voies urinaires pour laquelle elle a refusé le traitement. Si elle devenait confuse de façon persistante, elle perdrait sa capacité à consentir à l’AMM. Nous avons pris la décision de fixer une date provisoire pour prodiguer l’AMM au cours de la même semaine, à peine 30 jours après son évaluation initiale. Il s’agissait d’un équilibre prudent entre éviter la précipitation et respecter le souhait de Monika; bien que la décision était atroce pour l’équipe médicale et sa famille, elle offrait un grand soulagement à Monika.

Le décès médicalement assisté de Monika était une expérience émouvante. En raison des restrictions de la COVID-19 en matière de visites, seuls sa fille et son fils pouvaient être présents, mais sa chambre était remplie de photographies et de souvenirs qui représentaient sa vie. L’ambiance était loin d’être mélancolique, mais elle était imprégnée de calme et du soulagement palpable de Monika qui voyait que ses souhaits étaient respectés. Je suis reconnaissante d’avoir eu la chance d’apprendre auprès de Monika. — Amy Nolen

Consultation-360° est un nouveau type d’article à la section « Pratique » qui met en lumière certains aspects interpersonnels et systémiques des soins de santé rarement abordés dans les autres articles de cette section du JAMC. Chaque article comporte un résumé des antécédents médicaux et les réflexions personnelles de 2–4 personnes impliquées dans une même consultation clinique. Un des auteurs est toujours un patient, un membre de la famille ou un proche aidant. Les réflexions des autres auteurs (p. ex., médecins, personnel infirmier, travailleurs sociaux, diététiciennes, etc.) mettent en évidence divers points de vue représentés au cours de la consultation. Pour plus d’information, veuillez consulter https://www.cmaj.ca/submission-guidelines ou communiquer avec Victoria Saigle à l’adresse Victoria.saiglecmaj.ca.

Footnotes

Intérêts concurrents: Amy Nolen déclare une subvention de l’Association canadienne des évaluateurs et des prestataires de l’aide médicale à mourrir. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

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