Gravite de la COVID-19 chez les receveurs dune transplantation dorgane plein au Canada, 2020-2021 : etude de cohorte prospective multicentrique [Recherche]

Résumé

Contexte: La forme grave de COVID-19 semble affecter de manière disproportionnée les gens immunovulnérables, même si les données canadiennes dans ce contexte sont limitées. Nous avons voulu déterminer quels facteurs sont associés aux paramètres de la forme grave de COVID-19 chez les receveurs de transplantations au Canada.

Méthodes: Nous avons procédé à une étude de cohorte multicentrique prospective regroupant tous les receveurs d’une transplantation d’organe plein ayant reçu un diagnostic de COVID-19 suivis dans 9 programmes de transplantation au Canada entre mars 2020 et novembre 2021. Les données ont été analysées afin de dégager les facteurs de risque à l’égard du recours à l’oxygénothérapie et autres critères de la gravité de la maladie. Nous avons comparé les paramètres selon le type d’organe transplanté et suivi l’évolution des paramètres au fil du temps. Nous avons procédé à une analyse multivariée pour déterminer quelles variables sont associées au recours à l’oxygénothérapie.

Résultats: En tout, 509 patients ayant reçu une transplantation d’organe plein ont contracté la COVID-19 durant la période de l’étude. Les facteurs de risque associés au recours à l’oxygénothérapie (n = 190) ou non (n = 319) incluaient l’âge (âge médian 62,6 ans, intervalle interquartile [II] 52,5–69,5 ans c. âge médian 55,5 ans, II 47,5–66,5; p < 0,001) et le nombre de comorbidités (nombre médian 3, II 2–3 c. nombre médian 2, II 1–3; p < 0,001), de même que les paramètres concernant l’immunosuppression. Les receveurs d’une transplantation pulmonaire (n = 48) étaient plus susceptibles de souffrir d’une forme grave de la maladie, avec un taux de mortalité élevé (n = 15, 31,3 %) comparativement aux receveurs d’autres organes, y compris le rein (n = 48, 14,8 %), le cœur (n = 1, 4,4 %), le foie (n = 9, 11,4 %) et le rein–pancréas (n = 3, 12,0 %) (p = 0,02). Les facteurs protecteurs contre le recours à l’oxygénothérapie incluaient le fait d’avoir subi une transplantation hépatique et de recevoir de l’azathioprine. Le fait d’avoir reçu 2 doses de vaccin anti-SRAS-CoV-2 n’a pas eu d’influence appréciable sur le recours à l’oxygénothérapie. L’analyse multivariée a montré que l’âge avancé (rapport des cotes [RC] 1,04, intervalle de confiance [IC] de 95 % 1,02–1,07) et le nombre de comorbidités (RC 1,63, IC de 95 % 1,30–2,04), entre autres facteurs, étaient associés au recours à l’oxygénothérapie. La gravité de la maladie n’a pas considérablement diminué au fil du temps.

Interprétation : Malgré les progrès thérapeutiques et la vaccination des receveurs d’une transplantation d’organe plein, les signes de gravité accrue de la COVID-19, en particulier chez les receveurs d’une transplantation pulmonaire, justifient le maintien des mesures de santé publique pour protéger ces personnes à risque, et l’utilisation hâtive de traitements contre la COVID-19 chez les receveurs d’une transplantation d’organe plein.

Les receveurs d’une transplantation d’organe plein doivent prendre des immunosuppresseurs la vie durant pour prévenir le rejet. Au Canada, on estime à 3000 le nombre de transplantations effectuées annuellement, et 40 000 personnes vivent avec un organe transplanté. Des études préliminaires menées en Europe et aux États-Unis ont laissé entendre que les receveurs d’une transplantation étaient exposés à un risque plus grand de forme grave de COVID-19, la mortalité étant de 2–5 fois plus élevée dans ce groupe que dans la population générale13. On ignore si cet accroissement du risque est dû à la présence de multiples comorbidités, à l’immunosuppression ou à une combinaison des 2 facteurs.

Les premiers essais sur des agents thérapeutiques contre le SRAS-CoV-2, dont le remdésivir, la dexaméthasone et le tocilizumab, n’incluaient pas formellement de receveurs de transplantations46. De même, les études pivots sur les vaccins anti-SRAS-CoV-2 n’incluaient pas de populations immunovulnérables7,8. L’utilisation des agents contre la COVID-19 et des vaccins anti-SRAS-CoV-2 chez la population transplantée a donc été extrapolée à partir de la population générale. Les traitements d’usage courant contre la COVID-19, comme la dexaméthasone et le tocilizumab, peuvent exposer les receveurs de transplantations à un risque de surimmunosuppression, ce qui peut favoriser la survenue d’infections secondaires. De plus, l’arrêt de l’immunosuppression standard s’accompagne d’un risque de rejet du greffon.

Les études de cohortes précédentes menées auprès de receveurs de transplantations atteints de COVID-19 ont porté sur la première phase de la pandémie, alors que le choix d’agents thérapeutiques et de vaccins était limité2,9,10. Il s’agissait en général d’études monocentriques comportant un suivi de courte durée. Les données canadiennes pourraient différer de celles d’autres pays en raison de différences concernant les dates et les stratégies de déploiement de la vaccination, et l’utilisation et la disponibilité de certains agents thérapeutiques. De plus, les données actuelles sont limitées en ce qui concerne l’issue à plus long terme de la COVID-19 chez les receveurs de transplantations jusqu’à 90 jours post-infection, surtout en ce qui concerne le rejet des greffons.

Nous avons voulu déterminer quels facteurs sont associés aux paramètres de la forme grave de COVID-19 afin d’estimer l’effet des agents thérapeutiques disponibles sur la gravité de la COVID-19, et déterminer si la gravité de la maladie avait évolué au cours de la pandémie chez les receveurs d’une transplantation d’organe plein suivis dans 9 centres au Canada.

MéthodesConception de l’étude et contexte

Nous avons effectué une étude prospective multicentrique à partir d’un registre de receveurs d’une transplantation d’organe plein recrutés dans 9 programmes de transplantation affiliés à des établissements de soins tertiaires au Canada. Nous avons inclus tous les receveurs, y compris les patients hospitalisés et ceux suivis en consultation externe ayant présenté des symptômes d’une infection au SRAS-CoV-2 (de toute forme de gravité) confirmés par test d’amplification en chaîne par polymérase (PCR), entre le 1er mars 2020 et le 30 novembre 2021. Pour chaque site participant, les patients ont été identifiés de façon prospective à partir du moment de la recommandation de l’équipe de transplantation ou de façon rétrospective si le programme de transplantation avait eu connaissance du rétablissement ou du décès d’un de leurs patients des suites de la COVID-19. Les données ont été recueillies et saisies dans le registre pendant la période allant du moment du diagnostic d’infection au SRAS-CoV-2 jusqu’à 90 jours suivant le diagnostic.

Collecte des données

Dans chaque site, les données ont été recueillies de façon systématique à partir des dossiers médicaux électroniques des hôpitaux ou des dossiers de consultations externes, et saisies à l’aide du logiciel REDCap (Research Electronic Data Capture) dans une base de données électronique hébergée au site central (Réseau universitaire de santé, Toronto). Nous avons interrogé les sites pour toutes les données manquantes afin d’optimiser la collecte de données complètes. Nous n’avons pas exclu les patients pour lesquels des données étaient manquantes. Pour tous les patients, nous avons déterminé la date du diagnostic, soit la date du premier résultat positif par PCR de SRAS-CoV-2 à partir de frottis nasopharyngés, d’aspirats endotrachéaux ou de spécimens de lavage bronchoalvéolaire. Si des données étaient disponibles dans les dossiers de microbiologie, nous avons fait la distinction entre le SRAS-CoV-2 de type sauvage et les variants préoccupants, en particulier les variants Alpha (lignée B.1.1.7) et Delta (lignée B.1.617.2), qui étaient prédominants au Canada durant la période de l’étude11. Au sujet des patients, nous avons recueilli les données démographiques, les comorbidités, le statut vaccinal, les immunosuppresseurs et la survenue de complications, y compris le rejet d’organe.

Paramètres

Le principal paramètre prédéfini était le recours à l’oxygénothérapie chez les patients, un indicateur de COVID-19 de gravité modérée, conformément à l’échelle de progression clinique de l’Organisation mondiale de la santé12. Les autres paramètres d’intérêt incluaient l’hospitalisation, la durée du séjour hospitalier, l’admission à l’unité des soins intensifs (USI), le recours à la ventilation mécanique ou l’oxygénation extracorporelle, et le décès. Les cas de pneumopathie se fondaient sur la présence de symptômes et de signes radiologiques compatibles, à la radiographie pulmonaire ordinaire ou à la tomodensitométrie thoracique, notamment.

Les sites ont consigné l’utilisation d’agents thérapeutiques comme la dexaméthasone, le remdésivir, le tocilizumab ou un traitement par anticorps monoclonaux spécifiques au SRAS-CoV-2. L’utilisation des agents thérapeutiques relevait du médecin traitant; toutefois, l’approche dans l’ensemble, a été harmonisée partout au pays, puisque tous les centres de transplantation se réunissaient virtuellement lors d’un forum tenu chaque mois par la Société canadienne du sang pour discuter des enjeux liés à la COVID-19. Les complications, comme la surinfection bactérienne ou l’infection fongique envahissante, devaient être confirmées en microbiologie pour être incluses. Les sites ont noté les réductions de l’immunosuppression et le degré de réduction. Nous avons défini le rejet aigu comme suit : confirmé par une biopsie ou diagnostiqué et traité cliniquement. Nous avons défini l’insuffisance rénale aiguë selon les critères de la classification RIFLE (risk of renal dysfunction, injury to the kidney, failure of kidney function, loss of kidney function and end-stage kidney disease)13.

Analyse statistique

Nous avons analysé les données démographiques au moyen de statistiques descriptives. Nous avons comparé les variables des catégories à l’aide des tests du χ2 ou exact de Fisher et comparé les variables continues à l’aide du test U de Mann–Whitney. Pour notre paramètre principal, recours à l’oxygénothérapie, nous avons effectué une analyse multivariée par régression logistique binaire incluant les variables qui avaient une valeur p inférieure à 0,05 à l’analyse univariée. Nous avons utilisé le nombre de comorbidités plutôt que les comorbidités individuelles et nous avons exclu la dose de prednisone en raison de la colinéarité avec le traitement par prednisone. Nous avons généré 2 modèles. Le premier incluait toutes les covariables significatives comme suit : nombre de comorbidités, transplantation pulmonaire, transplantation hépatique, numération lymphocytaire, utilisation de la prednisone, utilisation du mycophénolate, taux de tacrolimus au moment du creux plasmatique et utilisation de l’azathioprine. Ces variables reflètent les paramètres connus qui affectent la réponse aux infections virales et aux vaccins après une transplantation2,9,1417. Le second modèle excluait la numération lymphocytaire et le taux de tacrolimus au moment du creux plasmatique, car pour obtenir ces variables il fallait des prélèvements sanguins récents et qu’il y avait beaucoup de données manquantes. Pour comparer les paramètres de gravité de la COVID-19 au fil du temps, nous avons catégorisé la date du diagnostic en 4 périodes différentes (1er mars–30 juin 2020; 1er juillet–31 décembre 2020; 1er janvier–30 juin 2021; 1er juillet–30 novembre 2021), coïncidant avec les vagues de SRAS-CoV-2 au Canada13. Nous avons établi la portée statistique à p < 0,05. Nous avons effectué toutes les analyses statistiques à l’aide de la version 28.0 de la plateforme IBM SPSS et la version 15.1 du logiciel Stata (StataCorp). Nous avons présenté les chiffres au moyen de la version 9 du logiciel GraphPad Prism.

Approbation éthique

L’étude a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche du Réseau universitaire de santé de Toronto (dispense du consentement), du Comité d’éthique de la recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec (dispense du consentement), du Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Montréal (dispense du consentement), du Comité d’éthique de la recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (dispense du consentement), du Comité d’éthique de la recherche de l’Université de la Saskatchewan (consentement écrit), du Comité d’éthique de l’Université de l’Alberta (consentement écrit), du Comité d’éthique mixte de la recherche en santé de l’Université de Calgary (consentement écrit) et du Comité d’éthique de la recherche du Réseau hospitalier Unity Health de Toronto (consentement écrit).

Résultats

En tout, 509 receveurs d’une transplantation d’organe plein ont officiellement contracté la COVID-19 durant la période de l’étude. Les données démographiques et les caractéristiques de départ de tous les participants sont présentées au tableau 1, et par établissement, à l’annexe 1, tableau supplémentaire 1, accessible (en anglais) ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220620/tab-related-content. Les patients étaient majoritairement de sexe masculin (65,4 %), l’âge médian était de 57,5 ans. La majeure partie des patients de la cohorte (63,9 %) avaient reçu une transplantation rénale. Les variants préoccupants les plus souvent détectés étaient ceux de la lignée Alpha chez 76 patients (14,9 %), et ensuite Delta chez 20 patients (3,9 %). Seulement 14 patients (2,8 %) avaient été traités pour rejet d’organe au cours des 3 mois précédant leur diagnostic de COVID-19. L’immunosuppression a été réduite chez 302 patients (59,3 %). Quatre patients de ce groupe ont subi un rejet aigu, tandis que 4 patients chez qui on n’avait pas réduit l’immunosuppression ont aussi connu un rejet aigu. En tout, 82 patients (16,1 %) avaient reçu une dose ou plus de vaccin contre le SRAS-CoV-2, 53 patients (10,4 %) avaient reçu 2 doses et 3 patients (0,6 %) avaient reçu 3 doses. Le principal type de vaccin était le BNT162b2, qui a été administré à 54 participants (10,6 %). Comme le montre la figure 1, la fréquence des infections au SRAS-CoV-2 a suivi la courbe épidémique de la population générale au Canada18 chez les receveurs de transplantations.

Tableau 1:

Caractéristiques démographiques des receveurs de transplantations atteints de COVID-19

Figure 1:Figure 1:Figure 1:

Fréquence de la COVID-19 durant la période de l’étude, selon le statut vaccinal. Les participants vaccinés incluaient tout patient ayant reçu 1 dose ou plus d’un vaccin anti-SRAS-CoV-2 approuvé, et contracté une infection confirmée au SRAS-CoV-2 plus de 7 jours après la première dose de vaccin. L’axe des abscisses représente le nombre de jours suivant le 1er janvier 2020 et l’axe des ordonnées représente le nombre de participants atteints de COVID-19. Au Canada, les vaccins anti-SRAS-CoV-2 ont fait leur apparition en décembre 2020 et les travailleurs de la santé et les adultes âgés ont été les premiers groupes priorisés. Les patients immunodéprimés, y compris les receveurs d’une transplantation d’organe plein ont été admissibles à la vaccination à partir de mars 2021.

Gravité de la maladie

Les caractéristiques les plus étroitement associées au recours à l’oxygénothérapie et à l’hospitalisation des patients lors de l’analyse univariée sont présentées au tableau 1 et à l’annexe 1, tableau supplémentaire 2, respectivement.

À l’analyse multivariée (tableau 2), les facteurs associés au recours à l’oxygénothérapie étaient l’âge, le nombre de comorbidités, un taux de tacrolimus plus élevé et une numération lymphocytaire plus basse. Étant donné que le taux de tacrolimus et que la numération lymphocytaire n’étaient disponibles que pour les patients dont on disposait de valeurs de laboratoire à jour, il y avait beaucoup de données manquantes. C’est pourquoi nous avons généré un second modèle qui excluait ces variables (tableau 3). L’âge et le nombre de comorbidités sont demeurés clairement en lien; toutefois, la transplantation pulmonaire et l’utilisation de prednisone au départ étaient aussi associées au recours à l’oxygénothérapie. Le recours à l’oxygénothérapie a été associé à d’autres complications chez les receveurs d’une transplantation d’organe plein atteints de COVID-19 (tableau 4), notamment une durée médiane du séjour hospitalier plus longue (14 j, intervalle interquartile [II] 7–27 j c. 6 j, II 3–11,75 j; p < 0,001) et une proportion plus élevée d’infections fongiques (6,3 % c. 0 %, p < 0,001) chez ceux qui ont eu recours à l’oxygénothérapie contre ceux qui n’y ont pas eu recours.

Tableau 2:

Analyse multivariée du recours à l’oxygénothérapie incluant les caractéristiques cliniques et les paramètres de laboratoire*

Tableau 3:

Analyse multivariée du recours à l’oxygénothérapie, incluant les caractéristiques cliniques et excluant les paramètres de laboratoire*

Tableau 4:

Paramètres cliniques de la cohorte totale de receveurs d’une transplantation d’organe plein atteints de COVID-19, selon le recours à l’oxygénothérapie

Au total, 276 patients (54,2 %) ont dû être hospitalisés et 190 (37,3 %) d’entre eux ont eu besoin d’oxygénothérapie. L’admission à l’USI et la ventilation mécanique ont été nécessaires chez 94 (18,5 %) et 76 (14,9 %) patients, respectivement. Dans l’ensemble, 57 patients (11,2 %) sont décédés dans les 28 jours suivant leur diagnostic de COVID-19, et 21 autres décès sont survenus jusqu’à 90 jours suivant le diagnostic. Parmi tous les cas d’infections postvaccinales, la mortalité de toutes causes à 90 jours a été de 3 sur 26 (11,5 %), de 4 sur 53 (7,6 %) et de 0 sur 3 (0 %) chez les patients qui avaient reçu respectivement 1, 2 et 3 doses de vaccin.

Une analyse longitudinale de la cohorte totale tout au long des 4 périodes de l’étude n’a révélé aucun changement significatif quant à la proportion de patients ayant eu besoin d’oxygénothérapie (p = 0,1), d’une admission à l’USI (p = 0,8) ou d’un soutien respiratoire (p = 0,5), ou quant à la proportion de patients décédés (p = 0,2).

Caractéristiques des traitements

Les participants pris en charge en consultation externe n’ont pas reçu de traitements spécifiques (notamment les anticorps monoclonaux, qui n’avaient pas été instaurés durant la période de l’étude). Par conséquent, nous avons examiné les caractéristiques des traitements seulement chez les 190 patients hospitalisés et sous oxygénothérapie (tableau 5). Parmi eux, 136 (71,6 %) ont reçu de la dexaméthasone, 68 (35,8 %) du remdésivir et 34 (17,9 %) du tocilizumab. Le remdésivir (tableau 5) a été associé à une meilleure survie lors du suivi à 90 jours (p = 0,04). Des infections fongiques envahissantes probables ou avérées ont affecté 12 participants (6,3 %) et 27 participants (14,2 %) ont présenté des infections bactériennes confirmées par culture.

Tableau 5:

Caractéristiques des traitements dans le sous-groupe des participants sous oxygénothérapie (n = 190) selon le paramètre de mortalité

Type d’organe transplanté

La gravité clinique a aussi été en lien avec le type d’organe transplanté (tableau 6). Les receveurs d’une transplantation pulmonaire (n = 48) ont eu un taux considérablement plus élevé d’hospitalisations en lien avec la COVID-19 (n = 34, 70,8 %, p = 0,002) et de virémie à cytomégalovirus (n = 7, 14,6 %, p < 0,001) comparativement aux receveurs d’autres types d’organes. Ils ont également présenté des taux considérablement plus élevés d’admission à l’USI et de recours à la ventilation mécanique et les taux de mortalité de toutes causes les plus élevés dans les 90 jours suivant le diagnostic de COVID-19 (figure 2).

Figure 2:Figure 2:Figure 2:

Survie non ajustée dans les 28 jours suivant le diagnostic selon le type d’organe transplanté (test de Cochran–Mantel–Haenzel, p < 0,001).

Tableau 6:

Paramètres de la COVID-19 selon le type d’organe transplanté

Interprétation

Nous avons procédé à une étude de cohorte prospective multicentrique pour évaluer les facteurs de risque de gravité et l’issue de la maladie chez les receveurs d’une transplantation d’organe plein atteints de COVID-19 durant la pandémie au Canada. Dans un groupe immunodéprimé, l’âge et les comorbidités, de même que des facteurs liés à la transplantation elle-même, comme les taux de tacrolimus et la lymphopénie, ont été étroitement associés au recours à l’oxygénothérapie. Nous avons aussi noté que l’utilisation du remdésivir chez les patients qui ont eu besoin d’une oxygénothérapie a été associée à une mortalité moindre. Le nombre total de cas signalés a diminué au cours de l’étude; toutefois, les admissions à l’USI et les taux de mortalité n’ont pas changé de manière appréciable au fil du temps. Même si tous les receveurs de transplantations sont exposés à un risque accru à l’égard de la forme grave de COVID-19 comparativement à la population générale, les facteurs de risque que fait ressortir notre étude pourraient être utilisés pour prioriser les patients lors de diverses interventions thérapeutiques préventives ou hâtives.

Comme dans d’autres cohortes, nous avons constaté que le nombre de comorbidités et l’âge étaient associés au recours à l’oxygénothérapie chez les receveurs d’une transplantation d’organe plein2,9,19,20. Les receveurs d’une transplantation pulmonaire étaient exposés au risque le plus élevé de forme grave de la maladie et de décès. Cela est probablement dû au degré plus élevé d’immunosuppression, à une réponse immunitaire locale aberrante des poumons transplantés et à une relative dysfonction chronique des greffons pulmonaires allogéniques dès le départ9. En revanche, les receveurs d’une transplantation hépatique étaient moins susceptibles de souffrir d’une forme grave de la maladie, ce qui concorde avec des taux relativement moindres d’immunosuppression21. Les taux élevés de tacrolimus et la lymphopénie ont aussi été associés à la forme grave de la maladie et sont le reflet d’une immunosuppression plus marquée. Contrairement à Heldman et coll.16, nous n’avons observé aucune amélioration importante au fil du temps pour ce qui est des paramètres de gravité de la maladie, y compris l’admission à l’USI et le décès16. L’absence de changements dans notre cohorte pourrait s’expliquer par la durée plus longue de l’étude, l’avènement de variants du SRAS-CoV-2 plus virulents en 2021 et la disponibilité d’agents thérapeutiques pour toutes les périodes de l’étude.

Nous avons observé un taux élevé d’hospitalisations en lien avec la COVID-19 chez les receveurs de transplantations (54,2 %), de même que de longs séjours hospitaliers (nombre médian de jours 5, II 5–19 j). Cela concorde avec les résultats observés aux États-Unis et en France19,20. Nous avons aussi noté que la proportion de patients hospitalisés avait tendance à être plus élevée que la proportion de patients nécessitant une oxygénothérapie (37,3 %), probablement en raison d’une proportion importante de patients hospitalisés pour des symptômes gastro-intestinaux surtout, ce qu’attestent aussi des cohortes internationales20,22.

Les traitements administrés aux receveurs de transplantations atteints de COVID-19 sont semblables à ceux qui ont été utilisés dans la population générale. Nous avons observé un lien entre le traitement par remdésivir et un taux de mortalité moindre. Toutefois, le remdésivir est recommandé chez les patients qui ont besoin d’une oxygénothérapie, mais exercerait des bienfaits limités chez les patients sous ventilation mécanique. C’est pourquoi on suppose que notre observation selon laquelle une proportion plus grande de patients vivants à la fin de l’étude avait reçu du remdésivir pourrait être le reflet de son utilisation chez des patients qui ne sont pas aussi gravement malades, plutôt que de ses effets bienfaisants en général sur la mortalité chez les receveurs de transplantations5,23.

Un aspect particulier de la prise en charge de la COVID-19 chez les receveurs de transplantations est la modulation de l’immunosuppression. Les immunosuppresseurs, surtout les antimétabolites, ont été réduits chez plus de deux-tiers des patients ayant eu recours à l’oxygénothérapie dans notre étude. Aucune donnée spécifique ne laisse entendre que la réduction des immunosuppresseurs soit une stratégie utile pour la prise en charge de la COVID-19, même si elle est souvent décrite dans d’autres rapports en lien avec des populations de patients immunodéprimés9,16,19,20,22,24,25. Fait à noter toutefois, plusieurs receveurs de transplantations dans notre cohorte atteints d’une forme plus grave de la maladie ont reçu plus d’immunosuppresseurs sous forme de dexaméthasone et de tocilizumab4. Par conséquent, on ignore si l’immunosuppression additionnelle par dexaméthasone et tocilizumab, alliée à une réduction du traitement immunosuppresseur d’entretien procure un quelconque bienfait, car on ne dispose que de quelques rapports limités et descriptifs dans la documentation sur la transplantation. Malgré les changements de l’immunosuppression, les rejets de greffons après la COVID-19 ont été rares.

Limites

Même si nous avons eu accès aux données d’un nombre important de patients de plusieurs sites, des cas pourraient ne pas avoir été confirmés (p. ex., patients peu atteints n’ayant pas consulté). Cela pourrait nous avoir conduits à surestimer la proportion de patients gravement malades. L’utilisation de traitements ciblés relevait des médecins et peut avoir été spécifique à leurs centres respectifs, même si les traitements étaient relativement harmonisés au pays, suite à la tenue de réunions de formation en ligne organisées régulièrement par la Société canadienne du sang pour les équipes de transplantation. L’inclusion de la radiographie pulmonaire comme modalité diagnostique de la pneumopathie comporte des limites puisqu’elle n’est ni sensible ni spécifique pour ce diagnostic. Les anticorps spécifiques aux donneurs n’ont pas été vérifiés de routine chez les receveurs de transplantations après l’infection au SRAS-CoV-2, de sorte que le rejet aigu peut avoir été sous-déclaré. Toutefois, la plupart des patients ont été suivis pendant un maximum de 90 jours, donc tout changement dans le fonctionnement du greffon aurait probablement été détecté. Les variables de confusion non mesurées incluent principalement les résultats d’analyses de laboratoire, comme les concentrations d’immunoglobulines totales, les taux d’autres immunosuppresseurs, comme le mycophénolate, et la réponse des anticorps neutralisants et des lymphocytes T suite aux vaccins. La recherche future gagnerait à évaluer l’efficacité des vaccins étant donné que nous n’avons eu qu’un petit nombre d’infections postvaccinales après une troisième dose de vaccin. Aussi, la période de notre étude a pris fin avant l’émergence du variant Omicron et n’incluait pas l’analyse des options thérapeutiques par anticorps monoclonaux et antiviraux.

Conclusion

Nous décrivons la gravité de la COVID-19 dans une volumineuse cohorte prospective de receveurs d’une transplantation d’organe plein au Canada. Malgré les progrès thérapeutiques, la gravité de la maladie n’a pas semblé changer au fil du temps et les receveurs d’une transplantation pulmonaire ont semblé être les plus vulnérables. Des mesures préventives, par exemple des doses additionnelles de vaccins ou la prophylaxie passive au moyen d’anticorps, devraient continuer d’être évaluées, tout comme la prise en charge hâtive en consultation externe au moyen d’anticorps monoclonaux et des nouveaux antiviraux oraux. Selon nos conclusions, il est important de maintenir les mesures de santé publique pour protéger les receveurs d’une transplantation d’organe plein, et de veiller à la vaccination judicieuse de leurs proches.

Remerciements

Les auteurs remercient Mmes Ilona Bahinskaya et Natalia Pinzon pour leur aide à la coordination de l’étude.

Footnotes

Intérêts concurrents: Geneviève Huard signale avoir été rémunérée par les sociétés Gilead et AbbVie et avoir participé à un comité de surveillance de la sécurité des données avec Paladin. Ruth Sapir-Pichhadze signale avoir reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada, du Fonds de recherche du Québec, de la société Génome Canada et de la Fondation canadienne du rein, de même que des honoraires de conférencière de la Société coréenne de néphrologie. Atul Humar signale avoir reçu des honoraires des sociétés Roche, Astellas et Merck. Deepali Kumar signale avoir reçu des subventions des sociétés Roche, GSK, Takeda, Qiagen, Amplyx et Atara Biotherapeutics, de même que des honoraires des sociétés Roche, GSK, Takeda, Exevir, Astellas et Meducom. Deepali Kumar est présidente de l’American Society of Transplantation 2022–2023. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.

Cet article a été soumis à l’examen des pairs.

Collaborateurs: Victoria Hall, Atul Humar et Deepali Kumar ont conçu et modélisé l’étude. Tous les auteurs ont recueilli des données. Victoria Hall, Javier Solera et Deepali Kumar ont procédé à l’analyse des données. Tous les auteurs ont participé à la rédaction du manuscrit, en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée, et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.

Financement: L’étude a été financée par le Centre de transplantation Ajmera et une subvention de la Société canadienne du sang. Les organismes subventionnaires n’ont joué aucun rôle dans l’analyse et l’interprétation des données. Victoria Hall a bénéficié du soutien de bourses de recherche d’Avant Insurance, de la Société canadienne de transplantation et du Centre de transplantation Ajmera. Ruth Sapir-Pichhadze bénéficie du soutien du Fonds de recherche du Québec — Santé en tant que boursière-chercheuse clinicienne (subvention n∘ 254386) et des Instituts de recherche en santé du Canada (ERG-477200). Atul Humar bénéficie d’une subvention du Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19 de l’Agence de la santé publique du Canada.

Partage des données: Les données qui appuient les conclusions de cette étude sont accessibles auprès de l’auteur de correspondance sur présentation d’une demande pour des motifs raisonnables.

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