Lhistoire de Vishma : un mystere resolu [Pratique]

Vishma est née à Toronto de parents immigrés originaires de Trinité-et-Tobago. Elle a eu une enfance heureuse, faite de moments agréables, passés en famille et entre amis. À 19 ans, Vishma a eu une fille et a terminé ses études secondaires. Plus tard, après avoir obtenu son diplôme universitaire de premier cycle, elle a commencé sa carrière dans le domaine des ventes et de la publicité.

Tout se passait bien pour elle jusqu’à l’âge de 27 ans. Au retour d’un voyage à Trinité, Vishma a présenté de la fièvre, de la fatigue et une perte de poids inexpliquée. Pendant plus d’un mois, elle s’est rendue à divers services des urgences. Son séjour d’une semaine à l’hôpital, au cours duquel on a tenté de trouver l’étiologie de sa fièvre d’origine inconnue, n’a pas permis d’établir un diagnostic. Ce n’est qu’à la suite d’une insuffisance rénale qu’on lui a diagnostiqué une vascularite associée aux anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA). Vishma a reçu un traitement par plasmaphérèse, des corticostéroïdes pulsés à doses élevées, du rituximab, du cyclophosphamide et de l’azathioprine. Son évolution clinique a été compliquée par une hémorragie intracérébrale et une discite attribuable à une souche de Staphylococcus aureus résistante à la méthicilline. Dans l’année qui a suivi le diagnostic, elle a été hospitalisée souvent, elle a été admise une fois à l’unité de soins intensifs et elle a subi une réadaptation en milieu hospitalier.

Sa maladie a fini par entrer en phase de rémission. À l’heure actuelle, Vishma n’a aucun signe ou symptôme de vascularite; elle présente une insuffisance rénale chronique (stade 2) stable et prend des médicaments antihypertenseurs et de l’azathioprine en traitement d’entretien.

Perspective de la patiente

Comme bien des gens de mon âge, je travaillais et j’étudiais pour lancer ma carrière. J’étais forte et je m’efforçais de rendre service à mes proches.

Mes symptômes duraient depuis environ 5 mois lorsque le diagnostic est tombé. J’étais fiévreuse et faible, je toussais et je n’arrivais pas à digérer les aliments. J’avais aussi perdu environ 60 livres, et mon image dans le miroir me faisait peur. Je souffrais le martyre et j’étais désespérée, honteuse d’avoir besoin d’aide pour prendre un bain et aller aux toilettes. Bien que j’aie eu recours à plusieurs ressources (cliniques sans rendez-vous, services des urgences, églises, prêtres, astrologues et guérisseurs), aucune d’entre elles ne m’a aidée. En plus de me sentir comme un fardeau pour mon entourage, je craignais qu’on m’oublie et que ma fille grandisse sans se souvenir de moi. Je savais que si mon problème n’était pas résolu, je mourrais. J’avais peur de mourir, peut-être parce que je me voyais comme une personne forte.

C’est dans le dernier hôpital où j’ai décidé d’aller que j’ai rencontré le Dr Etchells et son équipe. Le Dr Etchells m’a dit que je souffrais d’insuffisance rénale. Je ne le croyais pas, mais il avait raison. Heureusement, les résultats d’un des tests que j’avais passés 2 semaines plus tôt étaient disponibles, et les médecins s’en sont servis pour déterminer quel traitement j’allais recevoir. J’ai donc été transférée à un autre hôpital pour subir une plasmaphérèse. J’ai eu un accident vasculaire cérébral (AVC) qui a altéré ma vision, puis une infection rachidienne, et j’ai dû réapprendre à marcher. J’ai quitté l’hôpital à l’aide d’un déambulateur et avec un programme de physiothérapie. Ma mère est restée chez moi pendant 1 mois pour m’aider à prendre un bain en toute sécurité, mais c’était difficile en raison du cathéter central (inséré par voie périphérique) et j’avais des étourdissements lorsque je sortais du bain. Après environ 1 mois, j’arrivais à utiliser 2 bâtons de marche, et environ 1 mois plus tard, je marchais sans aide. La Dre Reich a apporté des corrections à la posologie de mes médicaments pour garder ma vascularite en rémission.

Cette expérience a été pour moi une leçon d’humilité, mais elle m’a aussi enseigné une grande sagesse. Avant d’être malade, je me concentrais sur mes aspirations professionnelles et j’avais un rythme de vie effréné. La maladie m’a rappelé que la vie ne tient parfois qu’à un fil. Maintenant, je me concentre sur ma santé et sur le présent. La plupart des autres personnes qui ont 32 ans comme moi ne voient pas le monde comme je le vois, donc parfois je me sens un peu seule. Je suis bien reconnaissante d’avoir survécu à la maladie, et j’espère pouvoir vivre une longue vie saine, heureuse et épanouie sans laisser les petites choses me tracasser, car la vie peut être très fragile. — Vishma Sookdeo

Perspective de l’interniste général

J’ai imprimé ma liste de patients hospitalisés. L’un de mes anciens professeurs appelait cette liste sa « galerie de personnages ».

Un personnage venait de s’ajouter à la distribution : Vishma.

Acte I

Malgré plusieurs visites aux services des urgences et un long séjour dans un autre hôpital, Vishma n’avait reçu aucun diagnostic. La détérioration de son état à la maison l’a amenée à notre hôpital.

Vishma n’avait pas l’air bien du tout.

Elle était pâle, en sueur et trop faible pour sortir du lit. Elle portait la blouse d’hôpital standard, déjà trempée, froissée et inconfortable.

Vishma souffrait d’insuffisance rénale aiguë avec hématurie et protéinurie, évoquant une glomérulonéphrite. Elle présentait aussi de nouveaux signes neurologiques que mon collègue résident voulait que j’examine. Vishma participait du mieux qu’elle pouvait, mais elle était épuisée. J’aime la neurologie. Vishma avait des lésions aux nerfs ulnaires, médians et péroniers, qui évoquaient une multinévrite. Pour être honnête, j’aimais être le centre d’attention de mon collègue résident. J’étais la vedette de la scène! J’ai demandé à Vishma si elle pouvait se joindre à nous lors de nos tournées du matin pour que d’autres puissent en apprendre sur sa maladie. Malgré sa bonne volonté, elle était tout simplement trop souffrante. Quelques jours plus tard, elle a été transférée à un hôpital au centre-ville pour subir une plasmaphérèse.

Vishma n’était donc plus sur ma liste. J’ai entendu dire qu’elle avait souffert d’un AVC, et j’espérais qu’elle s’en remettrait.

Acte II

Environ 1 an plus tard, Vishma m’a envoyé un courriel attentionné dans lequel elle proposait de se joindre aux tournées du matin. Elle s’était souvenue de ma demande et souhaitait assister à ces tournées d’enseignement pour raconter son histoire.

Je suis arrivé à notre lieu de rencontre avant la tournée. Étaitce bien Vishma?

On aurait dit quelqu’un d’autre!

Vishma se tenait debout et portait des vêtements de ville! Son récit captivait 30 étudiants en médecine, médecins résidents et médecins membres du personnel! Elle nous a confié qu’avant son diagnostic, lorsqu’elle obtenait son congé d’un hôpital sans diagnostic ni traitement, elle avait l’impression qu’on l’envoyait mourir chez elle. Elle se sentait abandonnée par le système. Elle n’avait personne à appeler. Personne pour se soucier d’elle. Vishma m’a fait réfléchir à mes propres émotions (peut-être de la frustration, peutêtre même un sentiment d’échec) lorsque je n’arrive pas à poser un diagnostic. Elle m’a appris une grande leçon : quand je donne congé à un patient sans diagnostic, je dois lui offrir les mêmes soins et le même soutien qu’à un patient dont le diagnostic est établi.

Au premier acte, Vishma avait joué un rôle difficile, dans un costume miteux. Au deuxième acte, je me suis rendu compte que ç’avait toujours été elle la grande vedette, au cœur du cadre de soins axés sur les patients. Je suis très content qu’elle m’ait ajouté à sa galerie de personnages. — Ed Etchells

Perspective de la néphrologue

En tant que médecin qui traite des maladies rénales autoimmunes comme la vascularite, j’ai l’habitude de manier prudemment l’épée à double tranchant des immunosuppresseurs (c.-à-d., des médicaments qui sauvent des vies, mais qui entraînent un risque de toxicité). Et pourtant, la maladie de Vishma m’a terrifiée.

Je me souviens très bien du jour où Vishma a été orientée vers moi pour que je lui offre les « meilleurs » traitements disponibles au sein de notre hôpital. Dans les 72 heures qui ont suivi son arrivée la nuit, elle a eu un AVC. Nous ne savions pas si cet événement était dû à sa maladie ou aux traitements, mais j’ai quand même annoncé la mauvaise nouvelle à Vishma.

Cet événement choquant n’était que le début d’un cauchemar qui a duré des mois, dans lequel la maladie et nos traitements ont ravagé le corps de Vishma. Pendant des mois, d’horribles complications se sont succédé : des séquelles de l’AVC, une otite grave nécessitant des tubes de myringotomie, une discite attribuable à S. aureus, le tout ponctué par les effets dévastateurs de la prednisone. La vascularite, tout comme les complications du traitement, peut toucher n’importe quel organe. Mon esprit rationnel de médecin est resté centré sur mon objectif, qui était de sauver la vie de Vishma et d’éviter la dialyse. Mais malgré toutes mes années d’expérience clinique, je ne pouvais m’empêcher de ressentir de la culpabilité et de la peur, car le traitement que je lui « infligeais » entraînait de graves complications. Bien que ce sentiment de culpabilité ait pesé lourd sur ma conscience, il ne fallait pas que je laisse la peur me paralyser ni m’empêcher de prendre les bonnes décisions.

Vishma faisait preuve sans relâche d’un stoïcisme peu commun. Lors de ces moments angoissants, je trouvais son calme inspirant, quoiqu’un peu troublant. J’étais préparée à voir un visage en larmes, rouge de colère et de frustration, mais Vishma affrontait chaque revers avec un sentiment de sérénité; il ne s’agissait pour elle que d’un autre obstacle à surmonter. Je crois que malgré les apparences, elle se battait férocement pour vivre. Elle a entrepris la réadaptation avec la détermination d’une guerrière.

Toutes ces années plus tard, je raconte à mes stagiaires l’histoire de Vishma : une leçon portant sur l’humilité et la vigilance nécessaires au traitement de la vascularite. Nous causons beaucoup de tort aux patients tout en faisant de notre mieux pour les sauver. Vishma a eu presque toutes les complications possibles liées à la maladie et à son traitement — un bien triste honneur. Son expérience illustre pourquoi la mortalité précoce attribuable à la vascularite rivalise avec celle causée par de nombreux cancers. Je veux que les stagiaires comprennent que le traitement de ces maladies exige une grande sensibilisation au caractère impitoyable des maladies auto-immunes et à la toxicité potentielle de nos traitements. Je leur rappelle de prendre en charge la vascularite avec humilité, mais de s’inspirer aussi du courage de Vishma et d’aider les patients à lutter pour obtenir les meilleurs résultats possibles.

Le combat de Vishma était très difficile. C’est inspirant et gratifiant de voir qu’elle l’a gagné et qu’elle est en santé. Les difficultés personnelles, émotionnelles et physiques des patients atteints de maladies immunes rares et potentiellement mortelles ne sont pas bien comprises. Vishma raconte aujourd’hui son expérience avec générosité pour aider à changer la donne. — Heather Reich

Consultation-360 ° est un nouveau type d’article à la section « Pratique » qui met en lumière certains aspects interpersonnels et systémiques des soins de santé rarement abordés dans les autres articles de cette section du JAMC. Chaque article comporte un résumé des antécédents médicaux et les réflexions personnelles de 2–4 personnes impliquées dans une même consultation clinique. Un des auteurs est toujours un patient, un membre de la famille ou un proche aidant. Les réflexions des autres auteurs (p. ex., médecins, personnel infirmier, travailleurs sociaux, diététiciennes, etc.) mettent en évidence divers points de vue représentés au cours de la consultation. Pour plus d’information, veuillez consulter https://www.cmaj.ca/submission-guidelines ou communiquer avec Victoria Saigle à l’adresse Victoria.saiglecmaj.ca.

Footnotes

Intérêts concurrents: Heather Reich signale avoir reçu du soutien à titre d’investigatrice principale de site pour les essais NEPTUNE (Nephrotic Syndrome Study Network) et CureGN (Cure Glomerulonephropathy) (indépendamment du travail soumis). La Dre Reich a aussi reçu une subvention de la Fondation canadienne du rein, des Instituts de recherche en santé du Canada, ainsi que de John et de Leslie Pearson; une bourse de recherche de la Fondation Fast; des honoraires de consultation des sociétés Calliditas, Novartis, Chinook, Travere, Pfizer et Omeros; des honoraires de conférencière de Novartis; et du soutien en matière de transport pour assister à une réunion de Chinook. La Dre Reich a aussi siégé au comité directeur d’Eledon et aux comités consultatifs de Chinook, de Travere, de Novartis et de Pfizer sur la néphropathie à immunoglobulines A. La Dre Reich a agi comme investigatrice, coordinatrice nationale pour des essais menés par Calliditas et Chinook; investigatrice pour des essais cliniques sur la glomérulonéphrite menés par Calliditas, Pfizer, Omeros, Chemocentryx et Alnylam; directrice des bourses de recherche sur la glomérulonéphrite financées par la Fondation Fast; et conseillère pour l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

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