Approche de la stratification du risque de maladies cardiovasculaires atherosclereuses: Utilisation des biomarqueurs et de limagerie en contexte canadien

Les maladies cardiovasculaires (MCV) sont la principale cause de morbidité dans le monde, et les cas courants ont presque doublé depuis les années 19901. Une large part des MCV sont causées par l’athérosclérose1,2. Les cardiopathies ischémiques comprennent les maladies du cœur causées par une coronaropathie athéroscléreuse (CAS), tandis que la MCV athéroscléreuse est une expression générique pour désigner les maladies du système cardiovasculaire dues à l’accumulation de plaques de cholestérol. La prévention primaire de la MCVAS nécessite de traiter les patients qui sont à risque de développer ou ont déjà développé une maladie athéroscléreuse avant qu’ils ne subissent un incident cardiovasculaire. Une stratification du risque est entreprise pour identifier les patients susceptibles de bénéficier d’une prévention primaire, mais les méthodes communément utilisées pour stratifier le risque sont imparfaites. Généralement, la stratification du risque cardiovasculaire comprend un examen des facteurs de risque du patient et des symptômes caractéristiques (le cas échéant), un examen physique, un électrocardiogramme au repos et une analyse de sang3. Le risque d’une MCVAS peut ensuite être estimé à l’aide d’un score de risque. Les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie (SCC) de 20214 recommandent l’utilisation du score de risque de Framingham (SRF)5, qui vise à prédire un événement cible, incluant l’infarctus du myocarde (IM), l’angine, le décès d’origine coronarienne, l’AVC, la claudication ou l’insuffisance cardiaque congestive6. Fait à signaler, il existe plusieurs versions du SRF qui estiment différents événements cibles (p. ex. version sans diabète ni signe clinique, qui inclut la CAS, mais exclut l’angine5). Un patient pourrait avoir différentes estimations du SRF selon l’événement cible qui a été utilisé et être faussement classé dans un groupe à risque moins élevé que si toute la gamme des événements avait été prise en compte.

Les scores de risque ne sont pas en mesure de représenter le risque de manière complètement exacte, puisque les facteurs de risque traditionnels (tabagisme, hypertension, dyslipidémie, âge et genre) représentent seulement de 65 à 85 % des événements cardiovasculaires7,8. Lorsque l’obésité abdominale, les facteurs psychosociaux, l’alimentation, la consommation d’alcool et l’activité physique sont aussi pris en compte, de 90 à 94 % des événements cardiovasculaires peuvent être expliqués9, mais ces facteurs sont difficiles à quantifier et ne se prêtent pas bien aux fins des scores de risque. En outre, le risque cardiovasculaire chez la femme est souvent sous-estimé10,11 : les différences liées au sexe dans les taux de diagnostic et de traitement des facteurs de risque traditionnels, et les facteurs de risque spécifiques au sexe, comme les troubles hypertensifs de la grossesse12,13, ne sont pas pris en compte dans la plupart des scores de risque. La mesure des biomarqueurs et l’imagerie peuvent aider à combler les lacunes dans la détection en tenant compte du risque inexpliqué par les facteurs de risque traditionnels14.

Présentation du cas

Une femme de 60 ans consulte son médecin de soins primaires après le décès de son frère d’un IM à l’âge de 57 ans. Elle est autrement en bonne santé, active et asymptomatique. Sa pression artérielle est de 125/82 mm Hg et les constatations à l’examen physique n’ont rien de particulier. Les résultats de l’électrocardiogramme sont normaux. L’analyse de sang révèle les valeurs suivantes : taux de cholestérol total de 4,72 mmol/L, taux de cholestérol à lipoprotéines de haute densité (C-HDL) de 1,57 mmol/L, taux de cholestérol à lipoprotéines de basse densité de 2,89 mmol/L (C-LDL), taux de C non HDL de 3,15 mmol/L et taux de triglycérides de 0,57 mmol/L. Elle s’inquiète de son risque d’IM et se demande si elle peut atténuer ce risque.

Sources de l’information

Les lignes directrices actuelles ont été passées en revue, et une recherche documentaire a été effectuée dans Ovid MEDLINE.

Message principal

Nouveaux biomarqueurs. De nombreux biomarqueurs sont associés avec l’incidence des événements cardiovasculaires, mais l’utilité d’un biomarqueur se mesure par les renseignements additionnels qu’il procure par rapport à la stratification traditionnelle du risque. Nous allons passer en revue divers importants biomarqueurs, notamment la protéine C réactive hypersensible (CRP-hs) et la lipoprotéine (a) (Lp[a]), qui sont des modificateurs du risque de MCVAS3,4. Les lignes directrices de la SCC soutiennent que la présence de modificateurs du risque (antécédents familiaux de MCVAS prématurée, taux de CRP-hs ≥2.0 mg/L, taux de Lp[a] ≥500 mg/L ou score calcique des artères coronaires [CAC] >0) justifie l’utilisation d’une thérapie aux statines chez les personnes à risque modéré (SFR de 10 à 19,9 %) qui ne sont pas autrement visées par les recommandations en faveur de l’utilisation de statines4.

Troponine hypersensible (Tn-hs) : La mise au point des dosages de la Tn-hs, qui peuvent détecter la troponine sérique à des concentrations plus faibles que les plus anciens dosages « contemporains » de la troponine, a permis une mesure exacte de la troponine cardiaque 1 hypersensible et de la troponine cardiaque T hypersensible (cTnT-hs) chez des personnes apparemment en bonne santé15,16. Les élévations de la Tn-hs par rapport aux valeurs de base peuvent être indépendamment prédictives de la mortalité toutes causes confondues17-20, de la mortalité cardiovasculaire18-22 et d’un IM non fatal18,19.20-22 chez des patients ambulatoires sans MCVAS connue. Dans une grande étude, les patients ambulatoires dont les dosages de la cTnT-hs étaient détectables avaient un risque de MCVAS sur 10 ans de 13,2 %23. À l’inverse, les patients dont les dosages de la cTnT-hs étaient inférieurs à la limite de la détection avaient de faibles taux de MCVAS23. Des études ont fait valoir des améliorations dans la stratification du risque cardiovasculaire en ajoutant la Tn-hs au SRF20,24-27 et à l’algorithme du risque SCORE (Systematic COronary Risk Evaluation) de la Société européenne de cardiologie28. Même si plus de recherches sont nécessaires pour savoir si la Tn-hs procure des renseignements qui ne sont pas autrement captés par les facteurs de risque traditionnels d’une personne, elle demeure utile comme marqueur de risque, et les patients dont les dosages de Tn-hs sont détectables ou élevés peuvent être considérés comme nécessitant des interventions préventives plus hâtives et plus intenses29.

Protéine C réactive : Les cellules inflammatoires jouent un rôle pathogène dans la formation de « stries lipidiques » précoces, la progression vers des lésions athéroscléreuses avancées et le développement de plaques instables30-33. L’un des marqueurs d’inflammation les plus évidents est la CRP, un réactif en phase aiguë qui est principalement produit par les hépatocytes en réponse à une inflammation, à une infection, à un cancer ou à une lésion aux tissus34,35. La question de savoir si la CRP est seulement un marqueur de MCV ou si elle joue un rôle pathogène dans le développement de l’athérosclérose demeure un sujet controversé36,37. Des dosages élevés de la CRP-hs par rapport à la valeur de base sont indépendamment associés à une mortalité toutes causes confondues élevée38-40, à la mort cardiovasculaire39,40 et à des événements cardiovasculaires34,38,40,41. Par ailleurs, des études qui examinaient la reclassification après l’ajout de la CRP ou de la CRP-hs à des modèles de prédiction ont produit des résultats variables24,26,38.41-46. La plus grande étude jusqu’à présent, qui comptait 166 596 participants, a cerné une très modeste amélioration dans la stratification du risque avec l’utilisation de la CRP45.

Lipoprotéine (a) : La lipoprotéine (a) a un potentiel athérogène considérable et est une particule LDL avec une apolipoprotéine (a) (apo[a]) liée par covalence à la molécule apo B10047,48. Les taux de Lp(a) dans la circulation sont génétiquement déterminés et peu influencés par les facteurs liés au mode de vie48. Une relation linéaire existe entre le risque cardiovasculaire futur et la concentration de Lp(a)47,49, et des études par randomisation mendélienne portent à croire à un rôle causatif de la Lp(a) dans le développement de l’athérosclérose50,51. Des recherches sont en cours pour déterminer si l’abaissement de la Lp(a) entraînera des réductions dans les issues liées aux MCVAS52,53. Les lignes directrices de la SCC considèrent la Lp(a) comme étant un modificateur du risque et recommandent une mesure de la Lp(a) une fois dans la vie d’une personne et des modifications plus intensives aux comportements sur le plan de la santé chez celles dont les taux de Lp(a) se situent à 500 mg/L (50 mg/dL) ou plus4.

Mesures des lipides : Le cholestérol total, le C-LDL et le C-HDL sont habituellement utilisés comme biomarqueurs de la dyslipidémie et sont inclus dans de nombreux calculateurs du risque de MCV5,28,54. Par ailleurs, il existe de nouvelles mesures pour caractériser la biologie lipidique. Le cholestérol non à HDL et l’apo B sont devenus plus fréquents comme options de rechange à la mesure du C-LDL55-59. Les mesures de l’apo AI et du nombre et de la taille des particules LDL56 sont aussi utilisées. L’apolipoprotéine AI et l’apo B sont les principales composantes protéiniques des particules HDL et non HDL, respectivement, et la mesure de l’apo AI ou de l’apo B est analogue à la mesure du nombre de particules de lipoprotéines58-60. Parce que le nombre de particule athérogènes non HDL est plus étroitement associé au risque de MCVAS que le contenu en cholestérol des particules56, de nombreux chercheurs recommandent d’utiliser l’apo B plutôt que le C-LDL ou le cholestérol non à HDL61. Les lignes directrices canadiennes appuient l’utilisation de l’apo B comme mesure de rechange au C-LDL ou au cholestérol non à HDL4.

Le nombre, la taille et la densité des lipoprotéines de basse densité peuvent aussi être mesurés directement par des techniques de sous-fractionnement des liporotéines62, mais cette technique ne convient pas à une utilisation clinique généralisée et systématique. De petites particules denses de LDL ont été cernées dans des études populationnelles comme étant indépendamment associées à un risque de MCV63-66. Les petites particules denses de LDL sont très athérogènes en raison de leur propension accrue à l’oxydation, de leur grande perméabilité endothéliale et de leur faible clairance par les récepteurs hépatiques des LDL67.

En dépit des bienfaits théoriques des plus récentes mesures du profil lipidique d’un patient, les études qui examinaient leur utilisation dans la stratification du risque ont été décevantes. Les rapports de risque de MCV produits avec l’apo B et l’apo AI sont presque identiques à ceux produits respectivement avec le cholestérol non à HDL et le C-HDL55, et l’ajout de l’apo B, de l’apo AI, du LDL ou de la Lp(a) aux modèles qui incluaient déjà le cholestérol total et le C-LDL n’a pas produit d’amélioration dans la stratification du risque60,68.

Études par imagerie. La mesure de l’épaisseur intima-media carotidienne (EIM-C) et les scores CAC sont des études par imagerie communément utilisées dans la stratification du risque. Une EIM-C et des scores CAC anormaux sont corrélés avec des risques d’événements liés à la CAS69-71 et à la MCVAS72-75. Il a été démontré que les 2 mesures améliorent la stratification du risque73,75,76, mais, dans une comparaison directe, les scores CAC étaient plus efficaces que l’EIM-C75,77.

Même si la mesure de l’EIM-C est populaire, parce qu’elle est abordable, accessible et dépourvue d’exposition au rayonnement, l’absence de normalisation et les définitions incohérentes de l’EIM-C ont entraîné une variation des résultats dans les essais cliniques78-80. Dans une grande méta-analyse, il a été constaté que des EIM-C communes amélioraient la prédiction du risque, mais les reclassifications étaient minimes et d’une importance clinique improbable78.

Par contre, même en présence de plusieurs techniques différentes de notation du score CAC, toutes sont fortement corrélées, et il a été démontré qu’elles avaient une excellente reproductibilité inter-observateur et intra-observateur81. Les mesures du calcium coronarien sont associées à une dose moyenne de rayonnement de 0,89 mSv, ce qui équivaut à environ 3,6 mois d’exposition au rayonnement naturel4. L’ajout des scores CAC améliore la stratification du risque par rapport à l’utilisation des facteurs de risque traditionnels seuls, surtout chez les populations d’âge moyen à risque modéré77,82,83. Des scores CAC plus élevés sont associés à un risque accru, notamment un score de plus de 100 étant associé à un risque annuel de plus de 2 % de MCVAS, et un score de plus de 300 étant associé à un risque d’IM ou de mort cardiovasculaire de 28 % sur 10 ans4. À l’inverse, les patients dont le score CAC est de 0 ont un faible risque de MCVAS sur 10 ans23,84. Cependant, un score CAC de 0 ne signifie pas une absence complète de risque, parce que ce score ne mesure que les anciennes plaques calcifiées dans les artères coronaires et peut avoir raté des plaques plus nouvelles et non calcifiées. C’est pourquoi il faut tenir compte de l’âge du patient si une mesure du score CAC est prescrite. La prescription d’une mesure du score CAC est plus cliniquement utile chez les hommes de plus de 42,3 ans et les femmes de plus de 57,6 ans qui n’ont pas d’autres facteurs de risque cardiovasculaire85. Les lignes directrices de la SCC considèrent qu’un score CAC plus élevé que 0 est un modificateur du risque et suggèrent d’envisager cette mesure pour détecter l’athérosclérose sousclinique chez certaines personnes4.

Quand utiliser les biomarqueurs et l’imagerie. Le dosage des biomarqueurs et les études par imagerie sont les plus utiles chez les patients à risque cardiovasculaire modéré pour aider à guider les recommandations thérapeutiques. Puisqu’on devrait conseiller à tous les patients, quel que soit leur risque cardiovasculaire prédit, d’apporter des modifications à leurs comportements sur le plan de la santé, notamment une alimentation plus saine, plus d’activité physique et la cessation du tabagisme4, la principale décision de traitement est de déterminer si le patient est susceptible de bénéficier d’une thérapie aux statines. Chez un patient dont l’état justifie l’utilisation de statines (Tableau 1)4 ou ceux dont le SRF est de 20 % ou plus, il est fortement recommandé de commencer une thérapie aux statines et, en général, aucune autre information tirée des biomarqueurs n’est nécessaire. À l’opposé, une thérapie aux statines n’est pas recommandée chez la plupart des patients ayant un très faible (<5 %) risque de MCVAS. Pour un patient dont le SRF se situe entre 5 et 19,9 %, les décisions thérapeutiques sont plus nuancées. Les lignes directrices de la SCC recommandent une thérapie aux statines chez les patients à risque modéré (SRF de 10 à 19,9 %,) dont les taux de cholestérol sont élevés (taux de C-LDL ≥3.5 mmol/L, taux de cholestérol non HDL ≥4.2 mmol/L ou taux d’apo B ≥1.05 g/L). De plus, une thérapie aux statines devrait être envisagée chez les patients à faible risque (SRF de 5 à 9,9 %) dont les taux de cholestérol sont élevés (selon les mêmes seuils), surtout en présence de modificateurs du risque. Lorsque les taux de cholestérol ne sont pas élevés, les données probantes favorisent encore l’utilisation des statines chez les patients à risque modéré (SRF de 10 à 19,9 %) en présence de modificateurs du risque, de même que chez les hommes de 50 ans ou plus et les femmes de 60 ans ou plus ayant un facteur de risque additionnel. Un résumé de ces recommandations relatives à la thérapie aux statines se trouve à la Figure 14.

Tableau 1.

Problèmes justifiant I’utilisation de statines

Figure 1.Figure 1.Figure 1.

Résumé des recommandations relatives à la thérapie aux statines

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