Le racisme environnemental au Canada

Vous êtes médecin de famille suppléant dans le Nord-Ouest ontarien. Votre prochain patient est un enfant de 6 ans qui souffre de fatigue chronique et de paresthésie aux extrémités. À l’examen physique, vous découvrez aussi une déficience auditive bilatérale1. Vous vous rappelez avoir lu dans les médias que 10 000 kg de mercure avaient été déversés il y a plusieurs années dans la rivière Wabigoon, polluant ainsi l’eau en aval et empoisonnant le poisson qui sert de subsistance à des collectivités comme celle de la Première Nation d’Asubpeeschoseewagong (Grassy Narrows)2,3. En plus de prescrire d’autres tests, vous procédez à un dépistage du mercure par analyse d’urine sur 24 heures, qui confirme que les concentrations de mercure sont anormales. Comment traitez-vous ce patient? Comment réagissez-vous à ce problème sur le plan communautaire? Dans quelle mesure prenez-vous en compte l’environnement, l’histoire et les facteurs économiques qui ont contribué aux problèmes que présente ce patient?

Le racisme environnemental désigne les politiques, les lois et les décisions en matière d’environnement qui, intentionnellement ou non, désavantagent de manière disproportionnée des personnes, des groupes et des communautés racialisés4. Le racisme environnemental est un problème majeur au Canada. Les Nations Unies ont constaté que « les groupes marginalisés, et les peuples autochtones en particulier, se retrouvent du mauvais côté d’un fossé toxique, assujettis à des conditions qui ne seraient pas acceptables pour d’autres groupes au Canada »5. Il y a de nombreux exemples de racisme environnemental au Canada, qui ont pour résultats des sites nocifs et une pollution à long terme des sols et des eaux dans des collectivités autochtones et d’autres groupes racialisés. Parmi ces exemples figurent les suivants : le pompage des effluents d’une usine de pâte à Boat Harbour (Nouvelle-Écosse)6, la pollution au mercure de la rivière dans la collectivité de la Première Nation de Grassy Narrows (Ontario)2,3, et le déversement de déchets toxiques dans la communauté d’Africville à Halifax (Nouvelle-Écosse)7. Le racisme environnemental entraîne des conséquences physiques, émotionnelles, psychologiques et spirituelles sérieuses, et, à une époque de vérité et de réconciliation, ses causes et ses répercussions doivent être traitées et corrigées.

Évaluer les déterminants de la santé en tant que promoteurs de la santé

Il faut enseigner aux professionnels de la santé les déterminants sociaux, culturels et historiques de la santé, dont la véritable histoire du Canada. Ces professionnels peuvent non seulement cerner les effets sur la santé du racisme environnemental, mais aussi leur intersection avec d’autres déterminants de la santé comme le faible revenu, la précarité du logement, le sous-emploi et l’accès difficile aux soins de santé. Lorsqu’un patient se présente avec un problème de santé, comme un cancer ou des lésions à un organe, qui peut être lié à une exposition à des produits chimiques toxiques, une partie de l’anamnèse doit inclure la détermination de la source de cette exposition et de la possibilité qu’une population plus large de la communauté soit affectée. En tant que promoteurs de la santé, les médecins de famille sont appelés à identifier les déterminants de la santé qui touchent une communauté ou une population8. Par conséquent, les soins ne devraient pas être prodigués seulement au patient repère, mais aussi, idéalement, à la communauté tout entière.

Il est aussi essentiel de reconnaître l’intersection entre le colonialisme et d’autres déterminants de la santé, plus précisément ceux qui sont liés à la santé des peuples autochtones. L’histoire du Canada est ponctuée de promesses faites dans les traités, mais non tenues, de lois et de politiques discriminatoires visant l’assimilation, et de l’appropriation de terres et de ressources au détriment des peuples autochtones9,10. Le colonialisme nuit directement à la santé et au bien-être des peuples autochtones11. Dans le contexte du racisme environnemental, le colonialisme a entraîné un racisme structurel et institutionnel qui continue de façonner les politiques et les pratiques environnementales contemporaines12. Par exemple, des douzaines de collectivités des Premières Nations au Canada continuent de faire l’objet d’avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable13. Ce problème a pour origine l’appropriation des terres des peuples autochtones et la relocalisation de leurs membres dans des régions bien précises appelées des réserves, ce qui a entraîné une compétence politique complexe en matière de responsabilités, comme la gestion de l’eau14. Il incombe actuellement au gouvernement fédéral de corriger le manque d’accès à de l’eau potable salubre par de nombreuses collectivités autochtones; toutefois, il a échoué jusqu’à présent à fournir des solutions appropriées et réalistes. L’adoption d’une perspective plus large des déterminants de la santé ne peut pas se réaliser sans reconnaître les impacts considérables et continus du colonialisme sur la santé des peuples autochtones. La compréhension du colonialisme en tant que déterminant important de la santé devrait nous aider à prendre conscience que nous devons travailler activement à déconstruire les systèmes colonialistes qui sous-tendent notre société15.

Et maintenant, qu’allons-nous faire?

D’abord, en tant que professionnels de la santé et Canadiens, nous devons nous informer au sujet de la véritable histoire du Canada. Deuxièmement, nous devrions prendre conscience de l’existence du racisme environnemental dans notre pays et, comme il est énoncé dans CanMEDS-Médecine familiale : Document d’accompagnement sur la santé autochtone, nous devons « plaider fortement auprès des systèmes dans lesquels [nous travaillons] pour modifier les processus et les politiques racistes16 ». Nous savons que les communautés racialisées sont affectées de manière disproportionnée par les dangers environnementaux et que cela comporte des répercussions profondes sur la santé. Si nous voulons aborder la santé dans une perspective proactive et préventive, nous devons plaider pour des changements durables et écouter les voix des personnes touchées.

Nos suggestions de changements aux politiques pour abolir le racisme environnemental sont les suivantes :

Les lois des peuples autochtones précédaient les lois occidentales et se fondaient sur les enseignements originaux et les lois de la nature. Elles étaient efficaces pour protéger la vie et maintenir l’harmonie avec la nature. Les décideurs, que ce soit dans les secteurs de l’environnement ou de la santé, doivent faire participer les peuples autochtones aux tables décisionnelles à tous les échelons (p. ex. municipal, provincial, territorial, fédéral et international). L’inclusion dans ces discussions des peuples autochtones qui sont les plus touchés par ces politiques contribuera à assurer que les changements proposés sont efficaces et appropriés.

Le projet de loi C-230 était un projet de loi fédéral qui visait à exiger du ministre de l’Environnement et du Changement climatique qu’il produise une stratégie pour remédier au racisme environnemental. Même si le projet de loi est mort au feuilleton lors de la dissolution du Parlement en 2021, la nouvelle lettre de mandat du ministre à la suite des élections l’enjoignait de « définir et prioriser les sites contaminés devant être nettoyés dans les régions où vivent des peuples autochtones, des Canadiens racisés et à faible revenu » et de « reconnaître le droit à un environnement sain dans la loi fédérale17 ». Pour en savoir davantage à propos de ce mandat et des façons dont vous pouvez exhorter le gouvernement à tenir ses promesses, rendez-vous à https://www.enrichproject.org/support-environmental-racism-legislation/.

En deuxième lieu, nous devons reconnaître comment l’histoire canadienne du colonialisme agit comme l’un des déterminants de la santé les plus critiques pour les peuples autochtones et alimente nos propres préjugés.

Pour en apprendre davantage sur le fondement colonialiste du Canada, nous recommandons ce qui suit :

Lire les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada18 et comprendre qu’il est essentiel que le gouvernement réponde à ces appels à l’action pour remédier aux effets de la colonisation comme déterminant distal de la santé.

Encourager tous les étudiants en médecine et tous les médecins à réfléchir à leur propre identité et à comprendre leur place dans l’histoire. L’établissement de relations est important pour respecter la vérité et la réconciliation, et cette réflexion est une étape essentielle à franchir avant d’entretenir des relations avec les peuples autochtones.

Enfin, dans nos propres pratiques, nous devons prendre en considération les facteurs de risque d’un patient selon une perspective globale, en reconnaissant constamment la façon dont les déterminants de la santé interagissent dans le développement de problèmes de santé particuliers et leurs issues. Après avoir reconnu ces facteurs de risque, nous devons évaluer leurs impacts sur la famille du patient et sur la communauté environnante. Ce faisant, nous favorisons l’ouverture d’esprit et de meilleurs soins aux patients.

Les recommandations suivantes de changements au cursus prédoctoral et postdoctoral en médecine familiale ont pour but de soutenir l’adoption d’un référentiel des déterminants de la santé :

Inclure des études de cas et des exemples qui illustrent une diversité de déterminants de la santé et encourager les étudiants à entreprendre une réflexion critique sur l’interaction entre ces déterminants de la santé.

Inviter un conférencier autochtone à partager ses expériences vécues du racisme environnemental et d’autres déterminants de la santé dans le contexte du système de santé canadien, permettant ainsi aux étudiants de réfléchir aux relations entre les déterminants de la santé et les résultats sur le plan de la santé.

Demander ou organiser une séance de développement professionnel continu pour explorer la manière dont le colonialisme pourrait affecter les déterminants proximaux de la santé, y compris le racisme environnemental, dans votre communauté.

Lire le document d’accompagnement sur la santé autochtone publié par le Collège des médecins de famille du Canada, une ressource ayant pour but d’aider à informer et à orienter les médecins de famille dans la prestation de soins centrés sur le patient adaptés aux besoins des patients autochtones16.

L’adoption de ces stratégies permettra de mieux comprendre les facteurs qui affectent la santé des populations et d’avoir une meilleure approche à l’égard des soins aux patients dans le système de santé canadien.

Footnotes

Déclarations de positionnement

Maya Venkataraman : Mes origines sont celles des colons immigrants, et je réside actuellement sur les territoires traditionnels non cédés des Salish du littoral. J’ai collaboré avec Mme Sanderson à la rédaction de ce commentaire et j’ai trouvé ses points de vue extrêmement utiles. Je reconnais que je dois humblement continuer à apprendre des Autochtones et des autres groupes racialisés qui sont confrontés au racisme environnemental et à les écouter. Dr Stefan Grzybowski : Mes ancêtres sont des colons venus d’Europe. Je vis sur les territoires traditionnels des Salish du littoral. Je suis médecin de famille rural et chercheur sur les services de santé, et je me suis engagé envers l’adaptation aux changements climatiques et aux bouleversements des écosystèmes auxquels nous faisons face collectivement, et envers leur atténuation. Je crois que la terre où nous vivons nous est prêtée pour nos enfants et les générations futures. Nous devons la leur rendre en meilleur état que nous l’avons reçue. Mme Darlene Sanderson : Je suis d’origine crie (mes racines sont de Churchill et Norway House au Manitoba) du côté de ma mère, et d’origine géorgienne et russe du côté de mon père. Je suis une mère, grand-mère, fille, sœur, tante, nièce et infirmière. Je suis très reconnaissante d’être une invitée sur les terres non cédées et occupées des Tk’emlúps te Secwépemc au sein des Secwépemc’ulucw, le territoire traditionnel du peuple des Secwepemc et d’enseigner les soins infirmiers à l’Université de Thompson Rivers. J’ai eu le privilège que mes aînés cris, salish du littoral, nuu-chah-nulth et māoris aient partagé avec moi leur savoir dans mon travail de doctorat sur le sens culturel de l’eau. Je travaille avec des nations et des collectivités autochtones sur la protection de l’eau, la santé et le changement climatique. Ils m’ont enseigné que les lois et les enseignements traditionnels peuvent procurer à toutes les personnes, aux plantes et aux animaux un avenir sain pour les 7 prochaines générations. Jordie Fischer : Je suis coordonnatrice de recherche ayant des antécédents en nutrition internationale et une passion pour les actions visant à protéger le climat. Je m’identifie comme étant une femme blanche cisgenre et je reconnais être d’origine coloniale sur les territoires ancestraux, traditionnels et non cédés des Salish du littoral, où je vis et travaille. Je m’efforce activement de dépouiller mes croyances et mes théories du colonialisme, et de les examiner d’un œil critique. Arlin Cherian : Je suis immigrante issue du colonialisme et je réside sur les terres des Salish du littoral. Mes antécédents de formation sont en santé publique et je m’intéresse à en apprendre plus au sujet de l’intersection entre la terre, le climat, la santé et ses effets, surtout sur les peuples autochtones en Colombie-Britannique. C’est avec humilité que je fais partie de cette équipe et que je continue à écouter, à désapprendre et à réapprendre les enjeux entourant le racisme environnemental et ses effets sur les Autochtones et les autres groupes racialisés au Canada.

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.

Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.

This article is also in English on page 567.

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