Que devraient enseigner les educateurs pour ameliorer les soins de sante preventifs?

La série d’articles Prévention en pratique1 est publiée dans Le Médecin de famille canadien depuis 2017. Cette série repose en partie sur nos expériences en tant que médecins enseignants ou membres du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP). Dans cet article, nous décrivons comment les éducateurs et les apprenants peuvent utiliser la série d’articles Prévention en pratique pour améliorer la maitrise des concepts en lien avec les soins de santé préventifs. Bien que ce sujet soit couvert dans un livre destiné aux médecins en santé publique2, au meilleur de nos connaissances, il n’existe pas de manuel sur l’enseignement des soins préventifs en médecine familiale. Cette absence signale une lacune dans le cursus de formation.

Dans notre article précédent le plus récent3, nous lancions un appel à l’action pour améliorer l’enseignement du dépistage et des soins préventifs durant les études en médecine et la résidence, car les apprenants commencent alors à développer leur jugement clinique et leurs habiletés en communication. Dans le présent article, nous avons cerné 6 thèmes pour l’enseignement des soins de santé préventifs. Pour chaque thème, nous suggérons aux enseignants et aux apprenants de fixer conjointement des objectifs d’apprentissage réalistes. En utilisant l’un de ces thèmes comme exemple, nous nous penchons sur ce qu’il faudrait enseigner (Figure 1).

Figure 1.Figure 1.Figure 1.

Définir des objectifs d’apprentissage : Un exemple fondé sur le thème de la communication médecin-patient

Description du cas

Pat, un étudiant en troisième année de médecine affecté à votre clinique, vient de rencontrer Bara, une femme de 55 ans. (Les lecteurs de cette série se souviendront de Bara, présentée dans l’article Prévention en pratique de mai 20223.) En bref, l’amie de Bara a reçu un diagnostic de cancer du sein détecté par mammographie et, même si Bara ne présente pas de risque élevé de cancer, elle s’inquiète. À la dernière visite l’an dernier, Bara et vous aviez discuté des préjudices et des bénéfices potentiels liés au dépistage du cancer du sein par mammographie. Vous aviez notamment discuté de surdiagnostic. Bara vait finalement décidé d’aboir une mammographie et rien de suspect n’a été observé. Aujourd’hui, Pat vous dit que Bara aimerait une nouvelle requête pour une mammographie. Pat avait déjà rempli le formulaire, et vous le remet aux fins de signature. Vous vous demandez quelles sont les compétences que devrait acquérir l’apprenant pour une prise en charge optimale de cette patiente.

Le fait que Pat semble être d’accord avec la demande de Bara de subir une mammographie annuelle est en soi problématique. Pat n’a pas beaucoup réfléchi à la fréquence des tests de dépistage ni à la possibilité qu’approcher le dépistage en voulant en faire « toujours plus » puisse causer des préjudices4. Pat ne sait pas que la réduction de la fréquence des mammographies de dépistage peut diminuer les préjudices tels que les résultats faussement positifs, tout en préservant les bienfaits5. Par conséquent, si une plus grande fréquence avait vraiment été meilleure, le GECSSP aurait recommandé fortement que les médecins recherchent annuellement un cancer occulte par mammographie. En 2018, dans la mise à jour de sa ligne directrice sur le dépistage du cancer du sein, le GECSSP a recommandé une mammographie tous les 2 à 3 ans pour les femmes de 50 à 74 ans, sous réserve d’une prise de décision partagée (PDP)6.

Sur la question générale du dépistage et de l’intervalle entre les tests, les apprenants doivent s’engager dans une réflexion critique. Mais, qu’est-ce que la réflexion critique?

Un panel international d’experts a défini la réflexion critique comme étant la capacité et la volonté d’évaluer des affirmations et de poser des jugements objectifs fondés sur des raisons bien étayées. C’est la capacité de chercher des lacunes dans les arguments et de résister aux affirmations sans preuves à l’appui. Cette aptitude favorise aussi l’habileté à être créatif et constructif dans le but de générer des explications possibles aux constatations, de réfléchir aux implications et d’appliquer de nouvelles connaissances à un large éventail de problèmes sociaux et individuels7. Citant ces travaux, Sharples et ses collègues ont émis l’avis que la réflexion critique est une habileté essentielle à la pratique fondée sur des données probantes, et l’ont décrite comme suit :

La réflexion critique englobe un vaste ensemble de compétences et de dispositions, y compris des aptitudes cognitives (comme l’analyse, l’inférence et l’autoréglementation), des approches à l’endroit de questions ou de problèmes en particulier (ordre, diligence et raisonnement) et des approches envers la vie en général (curiosité, préoccupation d’être bien informé et ouverture d’esprit)8.

En tant qu’éducateurs, nous devrions demander aux apprenants de réfléchir à leurs approches dans les rencontres cliniques comme la rencontre avec Bara. Pour optimiser les soins, il est essentiel de savoir quand entreprendre une PDP en relation avec la force et l’orientation d’une recommandation. Pour stimuler une réflexion critique, vous pouvez demander à Pat de passer en revue un outil infographique sur les bénéfices et les préjudices potentiels du dépistage par mammographie9. Il s’agit d’une représentation visuelle des effets de la mammographie de dépistage, qui révèle la magnitude du potentiel de bénéfices par rapport aux préjudices apportés par cette intervention.

Il n’est pas si facile d’élaborer des stratégies et du contenu pédagogiques pour expliquer les concepts clés des soins de santé préventifs. Le Tableau 110-31 présente 6 thèmes et des concepts connexes pour l’enseignement. Ces thèmes ont été déterminés par induction, en analysant la série d’articles de Prévention en pratique ainsi que ceux que nous avons recommandés comme lectures suggérées. Selon une approche séquentielle, la connaissance de chaque thème est requise pour atteindre les objectifs d’apprentissage enchâssés dans les thèmes subséquents. Nous recommandons d’enseigner ces concepts aux étudiants dès la première année de médecine.

Tableau 1.

Enseigner les soins de santé préventifs : Thèmes et concepts, dans l’ordre.

Objectifs d’apprentissage particuliers aux thèmes

Chaque thème dans le Tableau 1 peut servir à produire des questions clés pour orienter le dialogue entre les enseignants et les apprenants10-31. Pendant la résidence, ces thèmes peuvent être utilisés durant des séances éducatives lors de demi-journées scientifiques, puis être revisités dans la supervision clinique. Le Tableau 2 donne un exemple pour un sous-thème de la PDP. Dans cet exemple, la connaissance acquise à partir du thème 1 (épidémiologie et complexité en soins primaires) et du thème 2 (mesure des issues cliniques et ampleur des effets) représente un fondement sur lequel miser pour le thème 3 et les thèmes subséquents.

Tableau 2.

Questions clés et objectifs d’apprentissage connexes pour le sous-thème de la communication médecin-patient

Enseigner la PDP dans les recommandations liées au dépistage

On devrait enseigner la PDP aux étudiants en médecine et aux résidents car cela fait partie de l’apprentissage de la mise en pratique des recommandations conditionnelles. Cela leur permettra de mieux intégrer les données probantes à la prise de décisions cliniques et ainsi d’atteindre la compétence 3.5 du rôle d’érudit décrit dans le référentiel CanMEDS-Médecine familiale de 201732.

Chaque année, 2 d’entre nous (R.G., G.T.) présentent des conférences et des ateliers à l’intention des étudiants en médecine et des résidents de l’Université McGill à Montréal (Québec). Dans nos exposés, nous expliquons comment opérationnaliser le processus de la PDP et définissons les attentes concernant les occasions où elle devrait être offerte (Figure 2)33.

Figure 2.Figure 2.Figure 2.

Quand amorcer une PDP en se fondant sur la force et l’orientation de la recommandation des lignes directrices selon GRADE33

Au cours du programme de résidence, nous offrons une séance de 2 heures, appelée PDP-MF (SDM-FM en anglais), qui comporte un exposé et un atelier. Durant la séance, nous utilisons des interventions préventives pour expliquer quand et comment opérationnaliser les principales composantes de la PDP. Parmi ces composantes figurent la communication des risques et la clarification des valeurs qui permet d’éliciter les préférences du patient. Pour la composante de la communication des risques, des outils infographiques servent à visualiser les données sur les risques et les bénéfices. Nous expliquons qu’en plus de ces outils, des outils d’aides à la décision destinés aux patients peuvent aussi servir en clinique.

Durant l’atelier, nous examinons plus en profondeur la clarification des valeurs. Au moyen de simulations et de rétroaction, nous démontrons comment les aides à la décision facilitent l’identification des préférences du patient et leur intégration dans la prise de décision. Nous utilisons des jeux de rôles avec comme thème le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes de 50 ans. Les résidents mettent leurs habiletés en pratique dans ces situations fictives au moyen des aides à la décision du GECSSP ou de celles du répertoire d’aides à la décision de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa34,35.

Au cours des séances PDP-MF, nous expliquons que le dépistage du cancer du sein est une décision liée aux préférences de la patiente, lesquelles peuvent pencher en faveur ou contre l’option suggérée. S’il est relativement facile de le comprendre dans le contexte de la prise de décisions cliniques, le concept des valeurs de la patiente est moins intuitif. Nous expliquons que les valeurs font référence à la façon dont les patients considèrent les issues cliniques qui peuvent découler des choix de faire ou non un dépistage. Les valeurs aident à déterminer les préférences. Par conséquent, au cours des séances de PDP-MF, nous expliquons comment la clarification des valeurs tient compte à la fois des valeurs des patients et de leurs préférences.

Nous en savons très peu sur la disposition des résidents en médecine familiale à s’engager dans la PDP. En 2021, l’une d’entre nous (R.G.) a exploré la volonté de médecins résidents de l’Université McGill de s’engager dans la PDP et la possibilité d’accroître cette volonté. À l’aide d’une mesure validée des attitudes, nous avons constaté que la volonté de s’engager dans la PDP parmi les résidents en médecine familiale varie grandement36. Six mois après notre intervention pédagogique (PDP-MF), nous avons observé une légère amélioration de la disposition des résidents à s’engager dans la PDP37. Sur le plan pratique, ces constatations font valoir que les éducateurs devraient considérer la PDP comme une habileté à développer de manière continue durant les études de médecine et la formation en résidence, et qu’ils ne devraient pas se fier uniquement à des interventions ponctuelles, comme une conférence ou un atelier.

Résolution du cas

Pat, l’étudiant en médecine, examine l’outil infographique et l’aide à la décision sur le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes dans la cinquantaine. Comme dans le cas de plusieurs de nos patients, l’outil infographique aide les apprenants à réaliser lorsqu’ils ont surestimé les bénéfices et sous-estimé les préjudices de cette intervention38,39. Pat apprécie aussi observer la manière dont vous discutez du dépistage du cancer du sein avec Bara, conformément au processus de la PDP. En tant qu’étudiant en médecine, Pat n’a pas eu la possibilité d’établir des relations à long terme qui alimentent la confiance et facilitent la PDP avec les patients. Reconnaître l’absence d’une relation médecin-patient de grande qualité fait mieux comprendre aux enseignants les difficultés auxquelles les apprenants font face lorsqu’ils essaient de mettre en application la PDP dans leurs pratique.

Conclusion

Dans cet article, nous n’avons pas insisté sur le comment de l’enseignement, mais plutôt sur les concepts particuliers à enseigner en soins préventifs. Les apprenants bénéficieront d’interventions pédagogiques conçues pour améliorer la prestation des soins de santé préventifs. Nous reconnaissons la complexité du sujet, qui exige une réflexion critique au-delà des algorithmes que nous enseignons souvent lorsque nous donnons des soins aux patients. Nous invitons la communauté à exprimer ses commentaires sur cet article.

NotesPoints de repère

▸ De nombreuses suppositions ou croyances erronées persistent encore concernant l’utilité des interventions en soins de santé préventifs.

▸ Il est essentiel de promouvoir la réflexion critique pour améliorer l’apprentissage et la prise de décisions cliniques.

▸ La série d’articles Prévention en pratique dans Le Médecin de famille canadien est une source d’information pour les éducateurs qui souhaitent des conseils sur la matière à enseigner aux étudiants en médecine ou aux résidents.

▸ Il est possible de formuler des questions clés et des objectifs d’apprentissage à partir de thèmes issus de cette série d’articles.

Lectures suggérées

Brignardello-Petersen R, Carrasco-Labra A, Guyatt GH. How to interpret and use a clinical practice guideline or recommendation. JAMA 2021;326(15):1516-23. Erratum dans: JAMA 2022;327(8):784.

Raffle AE, Mackie A, Gray JAM. Screening: evidence and practice. 2e éd. Oxford, RU: Oxford University Press; 2019.

Le Médecin de famille canadien. More articles from Prevention in Practice. Mississauga, ON: Collège des médecins de famille du Canada; 2022. Accessible à : https://www.cfp.ca/content/by/section/Prevention%20in%20Practice. Réf. du 27 avr. 2022.

Footnotes

Intérêts concurrents

Les Drs Roland Grad, Neil R. Bell, James A. Dickinson, Guylène Thériault et Harminder Singh sont rémunérés par salaires versés par leurs établissements universitaires. En tant que membres actuels ou anciens du GECSSP, nous sommes (ou étions) à titre de bénévoles. Nous ne déclarons que les remboursements pour les déplacements, les repas et l’hébergement lors des réunions en personne financées par l’Agence de la santé publique du Canada. Le Dr Harminder Singh a siégé aux conseils consultatifs des sociétés suivantes, ou a agi à titre de consultant auprès d’elles : Pendopharm, Amgen Canada, Roche Canada, Sandoz Canada, Takeda Canada et Guardant Health, Inc.

Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à https://www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro+.

The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the August 2022 issue on page 583.

Copyright © 2022 the College of Family Physicians of Canada

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